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ne saurait se désintéresser de la question ; qu’il y a une synthèse à chercher des deux systèmes ; que, par exemple, ce ne serait pas une contradiction de rendre obligatoire l’entrée dans une des associations libres reconnues par l’Etat. Supposez, par pure hypothèse, qu’on dût un jour rendre obligatoire l’assurance contre l’incendie ; il ne s’ensuivrait pas que l’Etat dût être lui-même compagnie d’assurances. En tout cas, M. Prins a raison de le dire, le difficile problème du groupement des hommes est aussi important que celui de la répartition des richesses, et il y a une connexité intime entre ces deux ordres d’idées ; si donc nous voulons nous prémunir à la fois « contre l’atomisation et contre l’absolutisme, » nous devons rechercher le meilleur groupement possible des forces sociales et, en repoussant la tyrannie de l’Etat sans exclure le concours de l’Etat, multiplier les associations douées d’une personnalité collective et d’une vie organique. « Il ne suffit pas de ne point leur apporter d’entraves ; nous devons les encourager, les protéger et les reconnaître légalement[1]. »


En résumé, on peut conclure qu’un progrès social s’est déjà accompli et tend à s’accélérer en France : diffusion de la richesse dans le peuple et répartition plus égale de la propriété. C’est là, pour notre pays, au milieu de tant de misères qui frappent davantage les yeux, une condition fondamentale de stabilité, de moralité et de bien-être. Autant les déplacemens soudains de richesse sont dangereux pour la moralité nationale, autant la montée progressive de l’aisance la favorise. Si les effets moraux d’une meilleure répartition de la propriété ne se montrent pas encore chez nous, c’est que le phénomène est de date récente, que les inconvéniens du déplacement des richesses balancent encore les avantages, et que, par le retard de l’éducation morale sur l’instruction scientifique, les besoins se sont accrus plus vite que les moyens de les satisfaire. Tant il est vrai que la question sociale est aussi une question morale. D’une part, les riches sans culture morale ont toujours plus de puissance pour le vice que pour la vertu ; d’autre part, les hauts salaires accordés à des ouvriers incultes font souvent plus de mal que de bien ; car ils n’ont alors d’autres résultats « que de développer le chômage et l’alcoolisme[2]. » D’après une enquête de M. Adolphe Schulze, les ouvriers

  1. M. Prins, l’Organisation de la liberté.
  2. Ibid.