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une jeune fille, la loi la protège toute sa vie. D’après la loi de 1841, les enfans ne peuvent pas travailler dans les manufactures avant l’âge de huit ans ; d’après celle de 1874, avant l’âge de douze ans ; enfin, d’après celle de 1892, avant l’âge de treize ans. Et la durée du travail est sans cesse abrégée. La loi protège les enfans ambulans, surveille les enfans du premier âge, les enfans moralement abandonnés ; la loi établit l’inspection du travail et le contrôle des établissemens insalubres. Elle supprime les livrets d’ouvrier, elle crée le Conseil supérieur du travail, ainsi que le Conseil supérieur d’hygiène. Elle crée la caisse d’épargne postale ; elle règle l’arbitrage, s’occupe des logemens ouvriers et des habitations à bon marché ; elle protège le salaire contre la saisie ; elle s’occupe du maximum du prix des denrées, etc. Le contrat de louage des services a été modifié par la loi du 27 décembre 1890 au bénéfice des ouvriers. Enfin, et surtout, la loi a permis aux travailleurs de chercher dans l’association le moyen de lutter à armes égales contre l’entrepreneur. Si l’association était assez généralisée pour assurer l’égalité entre l’entrepreneur et l’ouvrier dans le contrat de travail, l’intervention des pouvoirs publics serait inutile, et la solution du problème se trouverait tout entière dans la libre action des syndicats ouvriers. Mais il est loin d’en être ainsi. Le développement de l’association est une œuvre lente par elle-même, rendue plus lente encore par les obstacles qu’on lui oppose. En Angleterre même, il y a seulement deux millions d’unionistes sur cinq millions de travailleurs. L’intervention du législateur doit donc suppléer à l’insuffisance de l’action individuelle et de l’action collective, quand il s’agit d’assurer la conservation et le développement du bien le plus précieux d’un peuple, sa force de travail. Au reste, cette intervention du législateur, nécessairement prudente et progressive, toujours fondée sur la connaissance exacte des faits, n’a jamais entravé le développement des unions professionnelles ; elle les a, au contraire, fortifiées. L’exemple de la société des brodeurs de Saint-Gall confirme cette thèse, car, sans la législation suisse, dont cette société n’a fait que généraliser par contrat l’application complète, elle n’eût jamais atteint la même puissance ni la même efficacité.

Nous croyons que la perfection serait « la liberté organisée pour tous, » c’est-à-dire des organisations libres et reconnues, comme en Angleterre, mais étendant l’assurance à la masse, comme en Allemagne. Et nous pensons que l’État, en France,