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élevé le « niveau intellectuel et technique » d’une grande partie de la population.

L’Office central des Œuvres charitables a dressé un inventaire des « richesses morales » de notre pays ; il déclare n’avoir jamais vu « une plus prodigieuse création en tous genres. » Du berceau à la tombe, « tout ce que l’homme a pu inventer pour l’homme semble avoir été fondé en notre temps. » Voilà, a-t-on dit, la vraie France, « celle dont le cœur bat, celle que ne montrent pas nos romanciers en quête de plaies morales[1]. »

Mais les œuvres de charité et d’assistance ne suffisent pas. Elles ne doivent pas empêcher les œuvres de justice et de solidarité contractuelle, dont les associations et l’Etat nous offrent les types. Après avoir dit jadis : laissez faire les individus, faut-il aujourd’hui que l’Etat se borne à dire : laissez faire les associations ? Nous ne le croyons pas, et la persistance de beaucoup de misères, malgré tant d’œuvres charitables, ne permet pas de le croire. De nos jours, en France, autant qu’on peut juger par des documens encore incomplets, une population d’environ 10 millions d’adultes paye, en parts presque égales, au chômage et à la mort un tribut annuel de plus de 300 000 têtes ; on doit y ajouter près de 50 000 blessés et 200 000 sexagénaires devenus incapables, soit en tout plus de 350 000 personnes enlevées au travail. Quant au nombre des personnes que les victimes laissent après elles, on l’estime à 350 000, ce qui donne un total de 900 000 personnes, près du dixième du chiffre des adultes. 450 personnes environ sont inscrites comme mortes de faim. En présence de cette situation, on ne saurait admettre qu’il n’y ait rien à faire pour l’Etat et les communes, sinon de laisser les individus, isolés ou associés, se tirer d’embarras comme ils pourront, sauf à proclamer dans l’abstrait cet unique principe : « Tous les Français sont libres et égaux. »

Au reste, depuis vingt-cinq années, le gouvernement n’a pas cessé de faire des réformes en faveur des ouvriers. Par la loi sur la responsabilité en cas d’accidens, la protection de l’Etat enveloppera la vie entière de l’ouvrier. Au sortir de l’école, la loi sur le travail dans les manufactures reçoit, comme on l’a dit, le débutant entre ses bras. Si c’est un garçon, elle ne le livre à lui-même et aux chefs d’industrie qu’à partir de dix-huit ans ; si c’est

  1. M. Georges Picot, Sommes-nous en décadence ?