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ont été un moyen de lutte inévitable. Il ne faut pas voir seulement le côté intéressé et violent des grèves, il en faut reconnaître aussi le côté désintéressé. En France surtout, pour une idée politique, pour un simple « principe, » on a vu d’immenses grèves se produire et s’éterniser. Au prix de quels sacrifices ! Et que ne ferait pas, au service d’une meilleure cause, cet esprit d’abnégation ?

La loi qui organise la conciliation et l’arbitrage est le complément de la loi sur les syndicats et sur les grèves. La loi sur l’arbitrage n’a cependant pas donné chez nous les résultats qu’on en attendait ; non, comme le disent les socialistes, parce que l’arbitrage n’est point obligatoire, mais parce qu’il ne constitue pas, à l’exemple de l’Angleterre, un tribunal permanent, toujours prêt, toujours actif. En outre, l’esprit d’indiscipline, fréquent chez le Français et augmenté encore par une éducation incomplète, fait que tantôt les patrons, tantôt les ouvriers (comme à Carmaux), après avoir demandé des arbitres, refusent de se soumettre à leur décision. Dès lors, à quoi bon l’arbitrage ? Il n’en est pas moins certain que, par le progrès de l’esprit public, l’arbitrage deviendra plus fréquent et plus efficace.

Mais les coalitions et les conciliations ne sont que des palliatifs. Sous un tel régime subsiste encore la lutte de tous contre tous, avec un reste de chaos économique. Au travail inorganisé et désordonné doit donc, sous une forme ou sous une autre, succéder l’organisation rationnelle ; au pur individualisme, l’association. M. Otto Gierke[1] et M. Ad. Prins[2] ont parfaitement montré que la corporation du moyen âge, entreprenant de garantir à l’associé tout l’ensemble de sa personnalité, aboutissait à l’absorber et à l’enchaîner. De plus, elle le parquait dans des groupes entre lesquels étaient des démarcations tranchées ; elle arrivait donc à constituer des ordres et des privilèges. Au contraire, l’association actuelle n’absorbe plus la totalité de la personne : elle ne garantit à l’individu qu’un résultat déterminé et particulier ; par cela même, « la spécialisation du but entraîne la spécialisation du sacrifice que chacun doit à son groupe. » Le citoyen n’est pas obligé à un choix exclusif ; il peut être membre de plusieurs associations à la fois, dont aucune ne confisque ou ne devrait confisquer son indépendance. Même quand les associations réunissent en un seul

  1. Das deutsche Genossenschaftsrecht. Berlin,. 3 vol.
  2. L’Organisation de la Liberté.