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de crédit, encore trop peu nombreuses, comprennent 26 banques populaires et 126 caisses agricoles. Mais les sociétés de consommation, même les mieux organisées, ne sont qu’au début de leur haute mission sociale. Leur vraie fin ne doit pas être seulement de vendre du café et du sucre le meilleur marché possible et de partager ensuite les bénéfices. A mesure que les consommateurs associés comprendront qu’une force économique considérable réside en leur faculté d’achat, à mesure qu’ils concentreront mieux cette force, la société de consommation se changera plus vite et plus sûrement en société de production et, par cela même, mettra un terme à l’enrichissement de quelques-uns au préjudice de tous. Là est l’avenir[1].

Les œuvres de solidarité ont subi une évolution digne d’intérêt dans notre siècle. L’association des capitaux, la société anonyme ou par actions a été le premier et dominant phénomène des deux premiers tiers de ce siècle, en France comme ailleurs. Nous lui avons dû un développement extraordinaire de l’industrie et de la richesse, mais elle a favorisé outre mesure l’esprit de spéculation et on lui reproche avec raison de n’avoir rien fait pour développer moralement la personne de l’associé, quantité négligeable qui s’effaçait alors devant le capital[2]. Un fait nouveau marque le dernier tiers de notre siècle : c’est l’avènement du second type économique de l’association, celle des personnes unies par contrat. La machine même, après avoir mis la personnalité de l’ouvrier en servage, tend aujourd’hui à son émancipation. En effet, la machine a groupé d’abord les ouvriers dans l’obéissance mécanique et quelque peu servile ; mais, aujourd’hui, elle les groupe dans l’action collective et libre ; les usines sont devenues les élémens et comme les cités d’une nation ouvrière qui se développe au sein de la grande nation.

La loi a autorisé les syndicats professionnels, œuvres contractuelles, en exigeant (par une restriction nécessaire et malheureusement trop négligée) qu’ils se renferment dans leurs attributions propres. La fâcheuse tendance des syndicats ouvriers, qui commence à se montrer même en Angleterre, c’est de retourner aux principes des corporations fermées, en limitant le nombre des ouvriers d’un même métier. Chez nous, les syndicats manifestent

  1. Voir Die schweizerischen Consumgenossenschaften, par le Dr Hans Müller. Bâle, 1896. Edité par la Fédération des Sociétés de Consommation.
  2. Voyez Ad. Prins, l’Organisation de la Liberté.