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famille des paresseux. » Ce n’est certes pas dans le peuple français qu’elle a pullulé en ce siècle. L’épargne y est devenue plus forte qu’en mainte autre nation et elle a eu pour effet d’y disséminer le capital plus que partout ailleurs. Or, c’est là un premier progrès social, dont il convient de déterminer la portée et les limites.

En Angleterre, on compte seulement 200 000 rentiers sur l’État avec un revenu moyen de 2 850 francs ; en France, leur nombre est de 4 millions avec un revenu moyen de 400 francs. Pour un Anglais créancier de son gouvernement, il y a donc 17 Français créanciers du leur. Ce sont, chez nous, les petites gens dont le labeur a amassé les 4 milliards des caisses d’épargne, répartis entre 8 600 000 livrets ; ce sont les paysans, les ouvriers rangés, les employés, les petits bourgeois qui détiennent la rente et les titres de chemins de fer.

Ainsi, pendant qu’ils acquéraient par leur labeur et leur esprit d’ordre le sol sur lequel ils sont nés, nos agriculteurs trouvaient moyen de faire ces petites épargnes accumulées auxquelles les nations étrangères sont heureuses de recourir. Principal propriétaire du sol français, le paysan français est devenu, de nos jours, le « bailleur de fonds des rois. » Les enquêtes fiscales ont abouti à constater que les Français sont en grande majorité possesseurs de leurs habitations. L’Angleterre est une « nation de locataires, » la France est une « nation de propriétaires. » On a donc demandé avec raison où sont, chez nous, ces signes extérieurs de toutes les vraies et définitives décadences : le ralentissement du travail, l’indifférence du paysan pour le sol, les grandes terres incultes. Nulle part ailleurs il n’existe ni une telle proportion de propriétaires, ni un tel attachement aux biens et à la maison de la famille.

En France, le régime de la propriété et de l’héritage, tel que la Révolution l’a établi, ne pouvait manquer de produire des résultats particuliers et originaux. La loi qui prescrit le partage à peu près égal des héritages entre les enfans a été sans doute une des causes auxquelles est due l’insuffisance du développement de notre race, qui est notre plus grand péril. Mais, au point de vue social, ce partage égal des successions a produit la diffusion, sinon des richesses, au moins du « bien-être à son début. » Il n’y a guère présentement, en France, de grandes fortunes remontant à trois ou quatre générations ; celles qui ont