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parce qu’il « ne produisait la justification d’aucun préjudice matériel, mais condamna l’Etat à payer aux trois enfans légitimes une somme de 100 000 francs. » Il y a quelques semaines (5 mai 1899), un nommé Fétis, à tort condamné pour diffamation par la cour de Bordeaux, obtint de la chambre criminelle, sans qu’elle eût à constater un préjudice matériel, une indemnité de 15 000 francs.

Cette partie du Code d’instruction criminelle fut encore amendée le 1er mai 1899.

Mme Lucie Alfred Dreyfus avait prié, par une lettre du 3 septembre 1898, le ministre de la Justice de provoquer la re vision du jugement rendu par le premier conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris, le 22 décembre 1894, qui avait condamné son mari à la déportation dans une enceinte fortifiée, et à la dégradation militaire. M. le procureur général Manau fut, en effet, chargé par M. le Garde des sceaux Sarrien, dès le 27 septembre, de demander la révision. La chambre criminelle déclara, le 29 octobre, la demande recevable en la forme ; mais, comme les pièces produites ne la mettaient pas en mesure de statuer au fond, elle crut devoir procéder elle-même (article 445 du Code d’instruction criminelle) à une enquête supplémentaire.

Une partie de la presse exerça sur la conduite de l’enquête une surveillance active, ombrageuse, violente : elle agita l’opinion publique. La confiance qu’avait inspirée jusqu’alors l’impartialité de cette chambre fut ébranlée dans certains esprits. Le gouvernement, à son tour, s’inquiéta. Le nouveau ministre, M. Lebret, chargea le premier président de la Cour et deux de ses plus anciens membres d’éclairer diverses imputations dirigées contre la section criminelle et d’en déterminer la portée. Les trois enquêteurs adressèrent au Garde des sceaux, le 29 janvier 1899, une lettre qu’ils terminèrent ainsi : « Nous craignons que, troublés par les insultes et les outrages et entraînés pour la plupart dans des courans contraires par des préventions qui les dominent à leur insu, les magistrats de la chambre criminelle n’aient plus, après l’instruction terminée, le calme et la liberté morale indispensables pour faire l’office de juges. » A la suite de ce rapport, le gouvernement soumit au parlement un nouveau projet de loi.

La Chambre des députés avait été déjà saisie par un de ses membres, M. Rose, d’une proposition qui reposait tout entière