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atteinte au respect de la chose jugée ; c’est l’erreur judiciaire elle-même ou, mieux encore, l’impunité de cette erreur.

Certes il est bon que l’ordre judiciaire soit respecté. Comme aucun pays ne peut se passer de justice régulière, les écrivains qui s’acharnent à représenter systématiquement les magistrats comme des malfaiteurs font une triste besogne. Mais, s’il est bon que les juges soient protégés contre les calomnies, s’il est utile que les juges possèdent la confiance des justiciables, il ne faut pas perdre de vue que les juridictions criminelles de tout ordre sont instituées avant tout pour rendre la justice. Cherchons d’abord à prévenir, ensuite à réparer les sentences injustes, et le reste viendra par surcroît. D’ailleurs, si la découverte de quelque erreur grossière nuit au prestige du tribunal qui l’aura commise, la réparation publique, éclatante, rehaussera celui de l’ordre judiciaire tout entier.

La loi de 1895 étendait encore les pouvoirs donnés à la Cour de cassation par la loi de 1867. Déjà celle-ci permettait à la chambre criminelle de statuer au fond sans renvoi, lorsqu’il ne pourrait plus être procédé de nouveau à des débats oraux entre toutes les parties[1], et lorsque, après une condamnation pour homicide faussement supposé, l’annulation de l’arrêt à l’égard du condamné vivant ne laisserait rien subsister qui pût être qualifié crime ou délit[2]. La loi nouvelle s’exprime en termes beaucoup plus généraux : « Si l’annulation de l’arrêt à l’égard d’un condamné vivant, dit-elle, ne laisse rien subsister qui puisse être qualifié crime ou délit, aucun renvoi ne sera prononcé. » La Cour de cassation (chambre criminelle) a fait une première application de ce texte, le 22 janvier 1898 : il s’agissait d’un prétendu déserteur qui, n’étant pas régulièrement lié au service, n’avait pas pu déserter[3].

Il faut lire dans le mémoire publié par Brissot de Warville en 1781, sous ce titre : Le sang innocent vengé, les pages enflammées que ce philosophe écrivit sur les « moyens de dédommager

  1. « Notamment en cas de décès, de contumace ou de défaut d’un ou de plusieurs condamnés, en cas de prescription de l’action ou de celle de la peine » (ancien art. 446). La loi de 1895 ajoute à ces cas, cités à titre d’exemple, ceux d’irresponsabilité pénale ou d’excusabilité.
  2. Ancien art. 447.
  3. Le texte de 1867 lui eût déjà permis de casser sans renvoi dans l’affaire Fétis (arrêt du 5 mars 1899), où, l’innocence du condamné lui paraissant d’ores et déjà manifeste, l’action publique se trouvait éteinte par la prescription.