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M. Faustin Hélie[1], avait dû affranchir la révision de toute condition et de toute limite. »

Mais, d’abord, on présumait trop du jury, il y a quarante ans : de nos jours, M. Ch. Gide, dans son journal l’Émancipation, M. Chailley-Bert et bien d’autres publicistes, en présentant divers échantillons de verdicts inexplicables, ont ébranlé cette confiance superstitieuse ; nous croyons que, pour être juré, l’on n’en est pas moins homme, et que le jury lui-même est capable de se tromper. Ce qui nous surprend tout à fait, c’est qu’on impute aux gens de l’ancien régime un pareil excès de modestie : nous avons de si mauvaises lois et de si mauvais juges, se seraient-ils dit, que nous pouvons bien nous donner la satisfaction de tout remettre en question sous n’importe quel prétexte. Je ne saurais leur prêter, pour mon compte, ce raisonnement extraordinaire.


II. — 1789 et 1808

Cependant un revirement d’opinion bizarre allait se produire. Plusieurs erreurs judiciaires avaient été signalées avec un grand éclat dans les dix années qui précédèrent la Révolution française. En 1780, cinq accusés de vol nocturne avec effraction avaient été condamnés par le parlement de Bourgogne ; l’un d’eux fut pendu, un autre mourut aux galères ; mais on découvrit d’autres coupables, qui étaient les seuls coupables. Des lettres de révision furent obtenues : un mémoire justificatif intitulé Réhabilitation de la mémoire de deux accusés et justification de trois autres, une consultation signée par Target, de Sèze, Lacretelle, Bonnet frappèrent au plus haut point l’esprit public. L’année précédente avait paru la consultation de Fournel pour la fille Salmon, condamnée comme empoisonneuse par le parlement de Normandie[2]. Ce procès fut révisé. L’opinion publique s’enflamma ; des sommes importantes furent envoyées de toutes parts à la prisonnière. Une ovation lui fut faite dans les rues de la capitale, quand le parlement de Paris l’eut entièrement déchargée par une sentence définitive. En même temps paraissait le Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue[3], qui contient des appels enflammés

  1. M. F. Hélie, membre de l’Institut, présida la chambre criminelle de la Cour de cassation.
  2. Consultation pour une jeune fille condamnée à être brûlée vive, Paris, 1786.
  3. Bradier, Lardoise et Simare, que le parlement de Paris avait condamnés à la roue pour vol nocturne. On sait que le véritable auteur de ce mémoire était le président Dupaty.