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temps reculés, on pensa qu’il y avait un intérêt public non seulement à rétracter les erreurs judiciaires commises à l’égard des vivans, mais à réhabiliter la mémoire des morts. Il me suffira de citer deux exemples célèbres. En 1409, Jean de Montagu, seigneur de Marcoussis, avait été condamné à mort injustement et décapité à Paris sur la place des Halles : sa mémoire fut « rétablie » et la confiscation de ses biens fut annulée. Les héritiers de Jeanne d’Arc furent également admis à « purger » sa mémoire par des lettres patentes de février 1449.

Dans cette période de notre histoire et jusqu’en 1667, on pratiquait une procédure de révision sous le nom de « proposition d’erreur. » Deux ordonnances royales, l’une de 1313, l’autre de 1344, s’en étaient occupées. « La proposition d’erreur, disaient nos très anciens jurisconsultes, est une concession faite par le souverain, sur la requête d’une partie, pour raison d’une erreur de fait contre un jugement qui ne peut être rétracté par la voie d’appel ou de nullité. » En 1579, l’ordonnance de Blois décida que « les arrêts de cours souveraines ne pourraient être cassés ni rétractés sinon par les voies de droit, qui sont requête civile et proposition d’erreur. » Il fallait recourir au prince pour obtenir des lettres de « proposition d’erreur, » et l’on disait communément que cette concession, tendant à détruire un jugement irrévocable, était « une véritable grâce contraire au droit commun[1]. » Le prince se laissait d’ailleurs assez facilement persuader quand il s’agissait de grands personnages, comme cet amiral Chabot, gouverneur de Bourgogne, durement condamné par des commissaires à la dévotion de François Ier, puis déclaré, par arrêt du 29 mars 1541, absous de ses prétendus crimes ; ou le chancelier Poyet, condamné par les chambres réunies du parlement de Paris, en 1545, à dix mille livres d’amende et à cinq ans d’exil, puis déchargé de ces condamnations l’année suivante ; ou Remond-Pelisson, président au parlement de Chambéry, que le parlement de Dijon avait condamné, en 1552, pour faussetés et malversations, à faire publiquement amende honorable, et qui, à la suite de lettres adressées au parlement de Paris par le Roi, obtint, le 15 octobre 1576, non seulement un arrêt d’absolution, mais une sentence flétrissante contre le procureur général au parlement de Dijon, etc. Puisqu’il s’agissait d’une grâce, il appartenait au

  1. On trouve en effet cette phrase dans une ordonnance de Louis XI : « impetrer lectres de grace pour estre receu à proposer erreur » (novembre 1479).