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à laquelle Luynes ne pouvait consentir ; car c’eût été mettre son rival à sa place et se supprimer lui-même de ses propres mains.

Il fallait que Richelieu fût bien sûr de lui pour tenir un pareil langage. Il n’avait, d’ailleurs, qu’à se louer de tout ce qui venait de se passer. On eût dit que, de toutes parts, les événemens avaient travaillé pour lui. Sa situation à la Cour était, désormais, bien autre que tout ce qu’il avait connu jusqu’alors. Le parti des pacificateurs, les moines, les prêtres, les gens de robe tournaient les yeux vers lui, comme vers leur plus chère espérance. Pour tous ces gens, à commencer par Luynes, Condé triomphant devenait l’ennemi. L’évêque obtenait le premier bénéfice de cette situation éminente en s’assurant cette nomination au cardinalat pour laquelle il avait remué tout le pays : c’était la perspective presque assurée d’une situation internationale qui le mettrait à l’abri d’un revers complet de la fortune. Du côté de la Reine-Mère, il avait tout écarté, tout remplacé : Ruccellai, Chanteloube, les Grands, d’Epernon, Soissons, Vendôme et les protestans.

De son passage dans le camp des rebelles, il lui restait, en outre, une expérience qu’il précise lui-même, avec sa netteté ordinaire : « Je reconnus, en cette occasion, que tout parti composé de plusieurs corps qui n’ont aucune liaison que celle que leur donne la légèreté de leurs esprits, qui, en leur faisant toujours improuver le gouvernement présent, leur fait désirer du changement sans savoir pourquoi n’a pas grande subsistance ; que ce qui ne se maintient que par une autorité précaire n’est pas de grande durée : que ceux qui combattent contre une puissance légitime sont à demi défaits par leur imagination ; que leur imagination, qui leur représente les bourreaux en même temps qu’ils affrontent les ennemis, rend la partie fort inégale, y ayant peu de courages assez serrés pour passer par-dessus ces considérations avec autant de résolution que s’ils ne les connaissaient pas. »

Bourreaux : voilà le mot terrible prononcé ! Et Richelieu l’écrit à propos de ses amis, les partisans de la Reine-Mère, ses complices dans une aventure dont, seul, il avait tiré profit et qui, pour toujours, lui avait servi de leçon.


G. HANOTAUX.