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non sans beaux faits d’armes, de part et d’autre. On se battait tout le long du parapet. Cinq ou six cents hommes restèrent sur le carreau, dont un des chefs de l’armée royale, Nérestan. À sept heures du soir, comme la nuit tombait, le pont et la ville des Ponts-de-Cé étaient gagnés. Seul, le château tenait encore. Le gouverneur, Bettancourt, blessé à la cuisse, s’y était enfermé avec une douzaine d’hommes. Tout le chemin d’Angers était occupé par des corps de garde. Au bout du pont, face à la ville, on avait fait une forte barricade pour contenir, au besoin, une sortie de ce côté. L’armée du Roi campa dans la prairie.

« Le Roi, pendant cette exécution, demeura toujours en bataille, recevant, de moment en moment, avis de ce qu’on exécutoit et ordonnant ce qu’il falloit faire. » Il faisait une chaleur extrême, et dont on souffrait beaucoup. Cependant il resta jusqu’à onze heures du soir, pour assurer les logis de son infanterie et les quartiers de sa cavalerie. En se retirant en son logis, après avoir été dix-sept heures sur son cheval, il le poussa et lui fît faire quelques passades à la tête de la Cornette blanche, « ce qui fît juger à ceux qui considérèrent toutes ses actions en cette journée que ses ennemis auroient affaire à un corps infatigable et à un courage sans peur. » Tout le monde avait, dans la pensée, le souvenir de Henri IV : « On le croyait mort ; non, il ne l’est pas ; il est ressuscité en la personne de son fils, lequel, en sa grande jeunesse, couve un sens tout chenu… et dont la piété et la justice marchent d’égal avec la valeur. »

Quant à Angers, le désordre y est inexprimable. La Reine est au logis Barrault, au milieu des femmes et des prêtres. On entend le canon ; les cloches sonnent ; ce sont des angoisses, des cris d’effroi, des nouvelles contradictoires qui arrivent coup sur coup. On ne sait à qui entendre. On se bat, on fuit, on parlemente, on délibère, tout cela en même temps, et sans conclure. Le duc de Vendôme se précipite chez la Reine « avec un épouvantement épouvantable, » et s’écrie : « Je voudrais être mort ; » sur quoi une fille de la Reine lui fait observer, fort à propos, qu’il n’avait, alors, qu’à rester sur le champ de bataille. Un autre dit qu’on aurait dû traiter plus tôt ; un autre est d’avis qu’il faut tenir tête, pendant que la Reine passera la rivière à la tête de la cavalerie qui est fraîche et n’a pas donné. La comtesse de Soissons, si ardente la veille, n’a plus qu’une crainte : c’est, si l’on se replie sur le sud, de tomber dans les mains du duc du Maine qui l’épousera par force.