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délaissés, et se rallie avec empressement à l’avis ouvert par le président Jeannin, qui en a vu bien d’autres, et qui, conformément aux sentimens de son âge, déclare qu’il vaut mieux laisser faire, fermer les yeux et attendre tout du temps. Les Soissons partent sans être inquiétés.

Ils partent le 1er juillet. Mais le coup est monté ; car, trois jours après, on apprend à Paris que, sous l’impulsion du duc de Longueville, gendre de la comtesse, la faction, en Normandie, se soulève. Le président de Bourgtheroulde est chef du parti à Rouen, et le grand prieur expédie à Caen son lieutenant Prudent, pour organiser la défense de la citadelle.

Va-t-on fermer les yeux, encore une fois, et va-t-on attendre que l’armée des rebelles, qui s’organise hâtivement, s’avance sur Paris pour venir, comme on l’annonce à grand bruit, s’emparer de la personne du Roi jusque dans sa capitale ? Condé accourt de Bourges à Paris. Un nouveau conseil est tenu, le i juillet. Le Roi y assiste. Condé se prononce, avec chaleur, pour l’action, et pour l’action immédiate : « Le Roi ne connaît pas sa force : qu’il marche ; qu’il se montre en Normandie ; tout pliera devant lui. » Les vieux ministres inclinent toujours vers la temporisation : « Quitter Paris, exposer la personne royale, sans troupes et sans préparation sérieuse, aux entreprises d’un parti puissant et audacieux ; s’enfoncer dans une province soulevée, laisser derrière soi la capitale du royaume remplie de gens sans aveu et prêts à tout : c’est bien risqué. On ne pourra peut-être pas reprendre la Normandie ; et on perdra tout, si on perd Paris. »

Luynes hésite toujours.

C’est alors que l’adolescent, bègue et silencieux d’ordinaire, le roi Louis XIII, après avoir écouté tout le monde, se décide à prendre lui-même la parole, et, Roi, il parle en Roi : « Parmi tant de hazards qui se présentent, dit-il, il faut marcher aux plus grands et aux plus prochains, et c’est la Normandie. Je veux y aller tout droit et n’attendre pas, à Paris, de voir mon royaume en proie et mes fidèles serviteurs opprimés. J’ai un grand espoir dans l’innocence de mes armes. Ma conscience ne me reproche aucun manque de piété à l’égard de la Reine ma mère, ni de justice à l’égard de mon peuple, ni de bienfaits à l’égard des grands de mon royaume. Par conséquent, allons. » Ce petit discours, tombant d’une bouche qui n’était pas prodigue de paroles, et venant d’une tête qui n’avait pas beaucoup d’idées à la fois,