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citoyen doucement avec sa famille, le marchand vigilant trafique librement et hazardeusement, l’artisan gagne sans contrôle sa vie à la sueur de ses bras, et l’actif et ménager laboureur sollicite sans crainte, de ses innocentes mains, la terre laquelle nous fournit, avec usure redoublée, les commodités de la vie humaine en nous ouvrant et son sein et son lait… Toutes ces raisons me font juger que cette ligue ne sera qu’un mauvais vent qui portera, quelque temps, un triste et préjudiciable dommage au peuple, mais qui, puis après, se résoudra en rien. »

Quel réconfort de telles paroles, écho de mille autres qui se faisaient entendre par tout le royaume, ne devaient-elles pas donner à ceux qui s’étaient voués à la défense de la cause royale !

Le plus ardent de tous était l’ancien rebelle, le prisonnier de la veille, Henri de Bourbon, prince de Condé. À peine rentré à la Cour, il avait voulu y jouer un rôle, et ce rôle, il l’avait exposé avec beaucoup de netteté, dès octobre 1619, à l’ambassadeur vénitien : prendre partout et toujours le contre-pied de la Reine-Mère ; par conséquent, se montrer catholique, si elle s’appuyait sur les protestans ; s’attacher fortement au parti royal, si elle faisait dissidence ; se lier d’autant plus étroitement avec Luynes que celui-ci était plus détesté et combattu. Ce programme avait été rempli, de point en point ; Condé n’avait cessé d’accabler Luynes des témoignages d’une amitié un peu trop empressée et surtout trop supérieure pour ne pas être gênante. Dans les conseils, il avait toujours appuyé l’avis le plus rigoureux à l’égard de la Reine-Mère. Il avait, de tout temps, préconisé le recours aux armes ; et le ton dont il le prenait n’était pas sans embarrasser le favori lui-même.

Car, chose curieuse, dans ce combat qui se livrait, en somme, autour de la personnalité de Luynes, celui-ci représentait la prudence, la patience et la modération. « Luynes incline à la paix, dit Bentivoglio ; mais Condé veut la guerre et cela d’une ardeur telle que le premier finit par en prendre ombrage. »

Cette conduite était conforme au caractère de Luynes, et puis, il sentait qu’il y allait de sa peau. On est volontiers téméraire pour le compte des autres. C’est ce que le favori disait, fort justement, à un autre de ces donneurs d’avis énergiques, Bassompierre : « Vous parleriez peut-être autrement, si vous teniez la queue de la poêle. » Ainsi, dans les conseils, il était le temporisateur et le modérateur. Il jouait la partie, à peu près avec les mêmes procédés et avec la même retenue que son adversaire, l’évêque