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traits qui marquent mieux la hauteur de l’âme. Cependant, sa carrière est brusquement arrêtée. La Bastille, l’exil, l’abandon, voilà son lot. Son ami monte, grandit, emplit l’univers de son nom, de ses services, de sa gloire. Au comble des honneurs et de la puissance, il ne se souviendra guère, plus tard, de la promesse qu’il faisait, en 1619, « de partager avec ses amis le peu qu’il aura au monde. » Le pis est que, pour ce vaincu de la vie, l’histoire elle-même ne sait si elle serait juste, en se montrant plus miséricordieuse que la destinée. Elle ne sait ce qu’elle doit penser de cet homme trop tôt disparu, de cette carrière si vite brisée, de cette existence qui n’a pas rempli son mérite. Elle suspend son jugement, même devant les douleurs imméritées, même devant les ingratitudes, peut-être nécessaires, qui ont écarté un Barbin, pour laisser la place libre à un Richelieu.

Quoi qu’il en soit, Richelieu restait bien le maître, le maître unique et incontesté et, à l’heure décisive où il est arrivé, au moment où la question précise qui se pose pour lui et pour sa maîtresse est de savoir si on recourra aux armes, si on ameutera, contre la cause royale, tous les partis d’opposition, si on jettera, une fois de plus, la noblesse dans la désobéissance et le pays dans les misères de la guerre, il semble bien que c’est de lui que tout va dépendre et qu’il est, plus que tout autre, responsable.

Il s’en défend, cependant. Plus tard, quand il écrivit ses Mémoires et qu’il eut à expliquer les singuliers événemens de l’année 1620, il rejette sur d’autres le blâme des mauvais conseils ; il se fait petit, et attribue à ses rivaux, aux gens de la cabale intransigeante, une influence que nous avons bien de la peine à discerner, aujourd’hui, dans les documens, pourtant si nombreux, qui nous sont parvenus : « Les raisons qui poussoient la Reine à prendre les armes, dit-il, ne manquoient pas d’apparence et n’eurent pas faute d’appui ; elles furent soutenues des grands qui espéroient profiter des divisions politiques, et de mes ennemis qui pensoient, par ce moyen, me dérober la confiance de ma maîtresse ; si bien que je fus, par prudence, contraint de revenir à leurs pensées, et, à l’imitation des sages pilotes, de céder à la tempête : n’y ayant point de conseil si judicieux qui ne puisse avoir une mauvaise issue, on est souvent obligé de suivre les opinions qu’on approuve le moins. »

Cette résignation n’est guère dans le caractère de l’homme. Du moins, convient-il de remarquer qu’il s’inclina bien promptement.