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Comment cette décision fut-elle accueillie par l’évêque de Luçon ? Fut-il satisfait ou peiné de cet éloignement ? Ce sont de ces replis obscurs de l’âme où il est bien difficile de pénétrer. L’homme qui l’avait introduit près de la Reine-Mère et dans le ministère, son ami, son protecteur, — un rival possible, — était écarté de la scène. Richelieu écrit à Barbin des lettres affectueuses ; cependant, celui-ci se plaint très haut. Sa vie s’écroule au moment où celle de son ami touche à son apogée.

L’évêque de Luçon connut ces plaintes : il dut s’expliquer. Nous avons ses lettres : « Monsieur, je ne sais de quels artifices on a pu se servir envers vous pour tâcher à faire en sorte que vous me crussiez autre que je ne suis en votre endroit, mais non seulement sais-je bien avoir apporté tout ce que j’ai pu, mais tant, que certaines personnes dont vous avouerez la conscience irréprochable et le jugement fort bon ont souvent estimé que je passois les bornes de la prudence du monde pour mes amis. Dieu m’est à témoin si je n’ai fait la même chose que j’eusse fait pour moi-même… Je vous dirai que l’affection de la Reine est telle envers vous que vous le sauriez désirer, qu’elle a fait ce qu’elle a pu pour avoir permission de vous ravoir et que si votre retour auprès d’elle avait dépendu de sa volonté, vous y seriez à son contentement. » Cependant, on touche à une matière bien délicate. Ce pauvre Barbin a de grands besoins d’argent. Il en demande : « Pour ce qui concerne l’argent, bien que mes affaires soient en plus mauvais état qu’elles n’étaient quand je suis entré au monde… je vous offre de bon cœur toute l’assistance que vous pourriez désirer d’une personne qui s’estimera toujours heureuse de partager avec ses amis le peu qu’elle aura au monde. » Il parait que, même sur ce dernier point, Barbin eut à se plaindre. C’est à peine croyable, mais l’évêque semble avoir lésiné. Barbin écrivit encore. Ses lettres font pitié. Richelieu répondit par des protestations froides qui mettaient fin à la conversation. Barbin alla végéter dans l’exil.

Singulière destinée que celle de cet homme dont tous ses contemporains s’accordent à reconnaître le mérite et la grande probité. Il fut, quelque temps, le maître de la France. Le peu que l’on connaît de ses actes et de ses intentions lui fait grand honneur : il exerça le pouvoir avec autorité et sang-froid, et supporta le malheur avec courage. Il avait deviné l’homme qu’était Richelieu et l’avait donné, libéralement, à la France : je connais peu de