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doit être la libre association et union[1]. » Mais, en manière d’introduction, un court exposé des faits, un rapide historique ne sera sans doute pas inutile, et, pour en bien marquer la suite, il faut le prendre au point de départ.


I

Le point de départ, c’est la Révolution. C’est la loi des 14-27 juin 1791 : « L’anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens du même état et profession étant une des bases de la Constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit. » Défense à cesdits citoyens d’un même état ou profession, aux entrepreneurs, à ceux qui ont boutique ouverte, aux ouvriers et compagnons d’un art quelconque, lorsqu’ils se trouveront ensemble, de nommer ni président, ni secrétaire, ni syndics, de tenir des registres, de prendre des arrêtés ou délibérations, de former des règlemens sur leurs prétendus — leurs prétendus ! — intérêts communs. Cela, au nom de la liberté, conformément à la Constitution, en vertu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! On croit rêver, et la stupeur ne se dissipe que lorsqu’on réfléchit à ce que fut et à ce que fit la Révolution. C’est là qu’elle apparaît sous son aspect négatif, destructif, ou du moins inconstructif. Elle renverse, Dieu merci, bien des choses qui n’étaient pas bonnes, ou qui, se corrompant et se détériorant, étaient devenues mauvaises, mais, à leur place, elle ne met et ne souffre rien. Elle jette bas l’État ancien, mais elle ne bâtit pas l’Etat moderne. Elle crie : Liberté, Égalité, Fraternité, mais seulement comme protestation contre ce qui était auparavant, et qui n’était, en effet, ni la Fraternité, ni l’Égalité, ni la Liberté. Elle proscrit, elle abolit, et elle a raison, — car, au lieu d’une protection, ce n’est plus qu’une tyrannie, — la corporation fermée, mais elle ne conçoit pas que la corporation puisse s’ouvrir, et en s’ouvrant se féconder, et en se fécondant servir, et en servant se légitimer.

Elle vient annoncer aux peuples les droits de l’homme, et à plusieurs reprises elle les leur rappelle. Elle leur dit, en 1791 : « Les hommes naissent libres[2]. — Le but de toute association

  1. Franz de Holtzendorff, Principes de la Politique, traduction de M. Ernest Lehr, p. 166.
  2. Déclaration des droits de 1791, art. Ier.