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sur le devant par un bandeau, retombe des deux côtés de la tête en deux masses de tresses fines qui passent derrière les oreilles, démesurément allongées par l’usage des boucles d’oreilles, et viennent s’étaler sur la poitrine. Mais le regard, les traits, la forme du visage dénotent une autre inspiration, qui serait plutôt grecque, et toute la physionomie a une finesse et une douceur d’expression qui en font des œuvres d’art d’un caractère vraiment personnel. Les hommes qui achetaient ces beaux vases corinthiens et les enfermaient avec eux dans leurs tombes, devaient ressentir le contre-coup de cet art ; mais c’était l’art grec primitif, l’art encore à moitié oriental des temps homériques.

Tous les masques d’ailleurs ne sont pas faits sur le même moule ; on peut y suivre une sorte de dégradation et comme un éloignement progressif de l’imitation égyptienne. Sur certains d’entre eux, les tresses sont remplacées par de petites boucles, serrées les unes contre les autres, qui recouvrent toute la tête et les épaules de leur flot ondoyant ; et, sous cette abondante chevelure qui couvre le front, deux yeux en amande, avec la prunelle saillante, profondément enfoncés sous une longue arcade sourcilière, les pommettes creuses, les lèvres serrées, peintes de rouge vif, comme les oreilles ; le cou et la poitrine couverts d’un pointillé rouge et bleu, quelque chose qui rappelle de loin la belle tête du Cerro de los Santos récemment entrée au musée du Louvre.

La nécropole de Tharros en Sardaigne nous avait déjà révélé le même mélange d’art égyptien et d’art indigène. L’identité est telle entre le produit des fouilles de Tharros et de celles de Carthage, que la plupart des objets qui proviennent des nécropoles de Sardaigne pourraient indifféremment être rapportés à celles de Carthage ; mais ce qui pouvait être considéré alors comme une exception nous apparaît aujourd’hui comme la règle. Il y a là un fait qui domine toute la civilisation punique de cette période dans le bassin occidental de la Méditerranée.

Ces grands marchands fabriquaient tout ce qui était d’une bonne vente et répondait au goût dominant de ceux avec lesquels ils faisaient commerce. À une époque où l’Egypte apparaissait comme le type de la perfection dans la civilisation et dans l’art, ils ont fait du faux égyptien, comme nous faisons du faux chinois et du faux japonais. Mais ils ne travaillaient pas seulement pour l’exportation et leur art indigène subissait les mêmes