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Il est question d’un changement dans le ministère. Bonaparte est mécontent de Decrès ; il veut absolument s’en défaire. Il a, dit-on, offert le portefeuille à M. de Fleurieu, qui l’a constamment refusé. On assure qu’à sa place il a jeté les yeux sur Barbé-Marbois, et que ce sera Defermon qui succédera à ce dernier au Trésor public. Ce bruit a consterné les rentiers de l’État ; le seul nom Defermon les fait trembler. D’un autre côté, Barbé-Marbois ne passe pas pour un marin fort habile ; mais, quel qu’il soit, il vaudra toujours mieux que Decrès, dont rien n’égale l’incapacité.

Chateaubriand a obtenu, comme on sait, la place de secrétaire de légation à Rome. Ce qui lui a valu cette faveur, c’est la double dédicace qu’il a faite de son livre au Premier Consul et au Pape, et, peut-être encore plus que tout cela, la protection de Fontanes. Lorsqu’il fut au moment de son départ, il alla chez le banquier fameux, Récamier, et lui demanda du papier sur Rome, pour une somme de mille écus. Récamier, en homme ami des beaux-arts, ne borna pas son zèle à lui accorder sa demande ; il lui donna en outre une lettre pour son correspondant de Rome, conçue à peu près en ces termes : « Je vous adresse M. de Chateaubriand mon ami, et je vous prie de lui rendre toutes sortes de services ; c’est un homme de mérite dans son genre… » Le mot, échappé à la bonhomie du financier, a fait, depuis, fortune dans les salons.

Bonaparte est arrivé le 11 au soir à Saint-Cloud.


Paris, le 20 août 1803.

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Deux autres bruits circulent encore, l’un dans quelques salons, l’autre parmi les bonnes femmes du peuple. Le premier n’est pas nouveau ; c’est toujours la proclamation de Bonaparte Empereur des Gaules ; mais on ajoute une circonstance : le Tribunat, dit-on, s’occupe de cette opération. L’autre bruit est tout opposé : c’est que ce même Bonaparte va remettre sur le trône un Prince de la maison de Bourbon, ou plutôt un Dauphin, pour nous servir de l’expression littérale des bonnes femmes. Ces bruits ne sont que réchauffés, mais ils semblent (le dernier du moins) annoncer un désir persévérant de la classe parmi laquelle ils circulent. Nous pensons en effet que ce désir est beaucoup plus vif dans le bas peuple que dans la moyenne bourgeoisie, et surtout dans une certaine classe de demi-philosophes, d’artistes et de gens de lettres qui,