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générale, personne n’est disposé à faire le moindre sacrifice pour s’opposer à l’usurpation.


Paris, le 24 mars 1803.

……………………… Nous allons résumer ce que nous avons de plus sûr et de mieux fondé, soit en faits, soit en raisonnemens politiques. Nous ne parlerons pas de ce que les gazettes disent à tout le monde. Nous avions cru que l’aventure de l’ambassadeur d’Angleterre s’y trouverait, mais comme il paraît que Bonaparte n’a pas encore voulu qu’elle acquît cette sorte de publicité, nous en dirons quelques mots. Ce n’est rien moins qu’un secret, puisqu’elle s’est passée en présence des ambassadeurs de toute l’Europe.

Ils étaient rassemblés, ainsi que tous les étrangers de marque, chez Mme Bonaparte, le dimanche 13 mars. Bonaparte arriva, et, allant droit à lord Whitworth, il lui demanda ce que signifiait le message de Sa Majesté Britannique au Parlement. Milord répondit simplement que c’était une démarche constitutionnelle. Bonaparte demanda si le traité d’Amiens n’était pas clair ? Point de réponse. Le Premier Consul déclara qu’un enfant de dix ans n’y trouverait point d’obscurité. « Je vais poser nettement la question, ajouta-t-il : hors de Malte ou la guerre ! » L’ambassadeur, peu accoutumé à ces nouvelles formes diplomatiques, persista dans son silence. Bonaparte reprit la parole, s’échauffa, dit qu’il parlait exprès à la face de toute l’Europe, pour que ses intentions fussent bien connues. Il dit qu’on pouvait faire beaucoup de mal à la France, la tuer même, — telle fut son expression, — mais l’intimider, jamais. Il finit en disant qu’il voulait la paix, que toutes les conditions du traité avaient été remplies du côté de la France ; que les mesures actuelles, dont on feignait de s’alarmer, n’avaient réellement pour objet que la conservation de nos colonies ; que les ministres anglais le savaient aussi bien que nous, et que, si le roi d’Angleterre nous forçait à la guerre, il serait responsable, devant Dieu et devant les hommes, de tous les maux qu’elle pourrait causer.

Ces maux seraient si grands, si incalculables, qu’il n’est pas probable que l’Angleterre veuille y exposer l’Europe et elle-même, pour le seul motif, le seul intérêt de conserver Malte ou plutôt d’en exclure les Français. En cas de rupture, Bonaparte ne songe pas à une descente, mais il est décidé à fermer l’Elbe aux Anglais,