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et marqué tous les mouvemens des armées ennemies. Un jour, après avoir bien examiné toutes les circonstances d’un siège fameux, il assura que les assiégés n’avaient pu se défendre qu’au moyen d’un fort, dont il traça à l’instant les dimensions, et, quoiqu’il ne restât aucun vestige de fort, il n’en affirma pas moins qu’il avait existé. Le lendemain, on fit creuser à l’endroit qu’il avait indiqué, et d’anciens fondemens trouvés profondément prouvèrent qu’il avait rencontré juste. Bien des incrédules ont refusé à sa pénétration l’honneur de cette découverte et ont prétendu qu’avant son départ, il avait recueilli sur cet objet, comme sur beaucoup d’autres, des notions oubliées dans le pays même ; mais les spectateurs n’étaient pas dans le secret, et leur admiration n’en a été ni moins vive, ni moins unanime.

Son ardeur et son activité n’ont pas cessé un moment de faire le tourment de ceux qui l’accompagnaient. Dès six heures du matin, il était à cheval, courant à travers les campagnes, franchissant les fossés et les ruisseaux, écrasant les chevaux sous lui et fatiguant tous les militaires qui l’escortaient. Quinze jours avant son arrivée, le préfet de Rouen, le pacifique Beugnot, avait pris des leçons d’équitation, afin de pouvoir le suivre dans ses courses ; mais le pauvre cavalier a été bientôt démonté et s’est vu forcé de rester chez lui.

S’il a été bien accueilli, il n’a rien négligé pour y réussir. Partout il a semé l’argent autour de lui, partout il a multiplié les faveurs et les promesses ; le clergé a eu la principale part à ses générosités. Il a voulu voir tous les curés et tous les principaux ecclésiastiques des lieux où il a passé ; il les a accueillis avec bonté, s’est entretenu longtemps avec eux, leur a témoigné beaucoup de zèle pour la religion catholique et leur a fait donner des gratifications considérables. Il a assisté souvent à la messe avec toutes les personnes de sa suite ; on assure qu’il l’a toujours écoutée avec beaucoup d’attention et de recueillement. Les principaux habitans des villes, les chefs des maisons de commerce et d’établissemens publics ont été comblés par lui de témoignages d’intérêt et de bienveillance. Il a poussé l’attention jusqu’à faire sa cour aux femmes, allant auprès d’elles, leur tenant des discours obligeans et ayant toujours soin, avant de les aborder, de demander leurs noms et des détails sur leur famille, afin de pouvoir les entretenir d’objets qui leur fussent agréables. Il était aisé de voir que son but était de séduire et de plaire, et il faut