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et s’effraye de la seule idée des objets qui peuvent en retracer l’image et en rappeler le souvenir.

L’acquéreur de domaines nationaux, enchaîné à la Révolution par l’intérêt, se dirige, dans toutes ses vues et dans toutes ses démarches, par l’influence de ce puissant mobile ; il craint la Restauration, parce qu’il la regarde comme l’époque des restitutions et le terme des jouissances usurpées. Ce n’est pas la forme du gouvernement qui le touche ; c’est la garantie de ses possessions qu’il cherche avant tout.

Le militaire se trouve dans une position à peu près semblable. C’est à la Révolution qu’il doit sa fortune et sa gloire ; c’est à elle qu’il attache ses destinées. Des formes républicaines ou monarchiques lui importent peu, mais il est persuadé que le retour de l’ancienne Monarchie changerait nécessairement le système militaire, et, se croyant déjà condamné par avance à la disgrâce ou au mépris, il est disposé à repousser tout ce qui tend à favoriser ce retour.

La classe moyenne, attachée par instinct à la royauté, en chérit tous les souvenirs et en garde fidèlement toutes les traditions ; mais elle redoute aussi les dédains de l’ancienne noblesse et se laisse facilement séduire par un ordre de choses qui, en reproduisant l’apparence des habitudes monarchiques, lui ouvre toutes les portes et lui distribue toutes les faveurs.

Le jacobin, constant dans ses haines, nourrit toujours sa fureur dans le secret ; il n’a point renoncé à ses projets ; il n’attend qu’une occasion favorable pour éclater, et on le verrait alors suppléer au nombre par l’audace.

Les courtisans, les hommes à idées libérales, fidèles aux principes, en dépit des crimes et des bouleversemens dont ils ont été les victimes, ne rêvent que constitutions écrites, qu’assemblées délibérantes, et, s’ils consentent au rétablissement de la monarchie, ce n’est qu’autant qu’elle voudra bien, à son tour, se prêter à leurs vaines imaginations et faire l’essai de leurs ridicules théories.

Les émigrés, lâches dans leurs propos, sont souvent les premiers à se prosterner devant l’idole qu’ils affectent de traîner dans la boue, et nuisent également par leur bassesse et par leur indiscrétion.

Le clergé, soumis, honteux du rôle qu’on lui fait jouer, ronge son frein dans le silence et supporte impatiemment le joug qu’il