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Un somnolent silence environne les pas
De ton Ombre anxieuse et qui cherche sa route
Et, sans tenter l’écho qui ne répondrait pas,
Tu marches taciturne, et ta pensée écoute.

Tout est-il mort en toi des temps et des destins ?
N’entends-tu pas la mer et la rumeur des foules,
Ni gronder sourdement, au fond des jours lointains,
Le bruit prodigieux d’une ville qui croule ?

Regarde. Vois la rive. Il t’attend près du bord,
Assis, la tête basse, en sa barque d’ébène,
Celui de qui la rame aide à passer les morts…
Et les cygnes du Styx t’ont reconnue, Hélène !

Ils dressent leurs longs cols, anxieux de te voir,
Et s’approchent, battant l’eau sombre de leurs ailes,
Car l’onde est ténébreuse et les cygnes sont noirs
Et pour roses l’Erèbe a la triste asphodèle.

Entre donc. Le Passeur a saisi l’aviron
Et tend sa rude main au tribut funéraire ;
Offre la drachme due au passage. Caron
Pour fendre le flot noir est âpre au noir salaire.

Mais lui, dont les durs yeux n’ont jamais hésité
Te regarde au visage et refuse d’un signe.
Et le Passeur des Morts sourit à la Beauté,
Et la barque t’emporte, Hélène, sœur des cygnes !

Déjà décroît la rive et le fleuve muet
Que divise la proue et bat la rame double,
Roule son onde morne et son eau sans reflet
Comme un marbre fluide et comme un métal trouble ;