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de Clermont, et en la soutenant vivement contre les attaques de ses détracteurs. Mais, du même coup, il s’était attiré la méfiance du Parlement, l’hostilité de l’Université et la haine du parti protestant.

Il avait suivi la même politique dans les grandes affaires qui divisaient alors l’Europe. Ce n’est pas ici le lieu de les exposer en détail. Il suffit d’indiquer qu’au moment où l’Autriche, la Hongrie, la Bohême et les pays allemands traversaient une crise décisive, et où le sort de l’Europe paraissait dépendre de l’arbitrage du roi de France, une ambassade spéciale envoyée par Luynes en Allemagne avait reçu le mandat de prendre position en faveur de la maison d’Autriche contre les protestans, adoptant ainsi, selon les expressions de Fontenay-Mareuil, « une ligne de conduite contraire à toutes les anciennes maximes établies comme lois fondamentales du royaume. »

En agissant ainsi, Luynes n’avait songé probablement qu’aux liens qui unissaient les protestans du dehors avec ceux qui formaient, au dedans, un des élémens d’opposition les plus redoutables. Mais, du coup, il exaspérait ceux-ci et les arrachait à l’espèce de demi-neutralité où ils s’étaient maintenus, depuis quelque temps, sur les conseils des Bouillon, des Rohan, des Duplessis-Mornay ; il rejetait le parti tout entier dans la politique intransigeante des sectaires et des pasteurs exaltés.

Le mal est contagieux. Du moment où les protestans s’agitaient, l’agitation naturelle aux Grands ne pouvait tarder à se manifester. C’était là surtout que la faveur de Luynes excitait les jalousies et les haines. Ses listes de promotions, la distribution, si savante qu’elle fût, des deniers publics et des charges, avaient le défaut de tous les bienfaits intéressés, qui développent des exigences nouvelles chez ceux qui en profitent et exaspèrent le mécontentement de ceux qui en sont exclus. D’autre part, en délivrant Condé, Luynes s’était donné pour adversaires tous ceux qui étaient hostiles au premier prince du sang, à commencer par d’autres cousins du Roi plus proches parens, les Soissons.

C’est ainsi qu’on vit, peu à peu, le mécontentement gagner les plus hauts personnages du royaume, les Mayenne, les Longueville, les Vendôme, les Rohan. À Paris, la bourgeoisie frondeuse, les parlementaires, les Sorbonistes, gens d’humeur critique et toujours abondans en conseils qu’on ne leur demande pas et qu’on n’écoute guère ; dans les provinces, les grands seigneurs, les gouverneurs,