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soient au monde. » Ces paroles, à la fois réservées et vigoureuses, indiquent à quel point notre homme se sait libre de toute contrainte.

Luynes, au contraire, est plein d’inquiétude. Il sent qu’un danger nouveau le presse. Tout en négociant avec la Cour, l’évêque de Luçon noue artificieusement une entente nouvelle entre tous les ennemis du favori. Ce grand parti d’opposition dont Ruccellai avait pressenti la formation et la force, il est en train de le rendre possible, parce qu’il n’escompte pas, d’avance, son appui. Les protestans, le duc du Maine, les Soissons et tant d’autres qui auraient vendu chèrement leur concours à la Reine-Mère, si elle l’eût sollicité, viennent vers elle, maintenant qu’ils craignent qu’elle ne leur manque. Fontenay-Mareuil dit, en propres termes, que cette nouvelle attitude est due aux intrigues de Richelieu. En tous cas, quel avantage pour lui d’aborder la Cour, ayant en main une pareille force, ou, du moins, sur les lèvres, une pareille menace !

La Cour voudrait montrer aux peuples la réconciliation du Roi et de la Reine comme un spectacle de concorde, fût-il apparent et momentané, afin de l’opposer aux élémens de division et de désorganisation qu’elle sent s’agiter, de toutes parts, dans le royaume. Cette entrevue, Richelieu la retarde ; mais il ne la refuse pas. De sorte que toutes les passions restent en éveil et tous les esprits en suspens. En un mot, plus l’opposition de la Reine-Mère devient sage et modérée, plus elle devient redoutable ; et plus la Cour lui cède, plus elle doit lui céder. Certes, ce sont là des affaires conduites ! Et Luynes, pris dans l’engrenage où il s’est engagé lui-même, doit se rendre compte que les choses allaient tout autrement, quand il avait affaire à d’autres personnages.

Dans ces conditions, le favori éprouve le besoin de s’assurer du renfort. Or, il reste, dans le royaume, une influence qui a été et qui peut redevenir considérable, c’est celle du prince de Condé, pour le moment au repos sous les verrous du fort de Vincennes. La reine Marie de Médicis l’avait fait arrêter par Thémines, du temps du maréchal d’Ancre. Depuis trois ans, il était prisonnier. C’était un bien long délai pour le premier prince du sang. Il ne manquait ni d’amis ni de partisans. On assurait que la prison l’avait calmé et qu’il devenait plus raisonnable.

Peu à peu, on avait adouci son régime. La porte s’était même entr’ouverte : sa femme, Charlotte de Montmorency, oubliant tant de misères qu’il lui avait fait endurer, était venue près de lui et,