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Le propos revint aux oreilles du marquis. Deux ou trois essais de rencontre n’aboutirent pas. L’affaire fut, un moment, arrangée par l’intervention personnelle de la Reine-Mère. Mais les deux hommes se cherchaient. Le 8 juillet, un lundi, ils se retrouvèrent, à demi fortuitement, près de la citadelle. Ils mirent pied à terre. À la première passe, Richelieu blessa son adversaire. Mais celui-ci, qui n’avait qu’une épée courte, se baissa, passa sous la laine du marquis de Richelieu et le frappa en plein cœur. Le marquis ne put dire que quelques mots : « Mon Dieu, pardonnez-moi ! » Le Père de Bérulle qui, de hasard, passait par là, arriva à temps, dit-on, pour lui donner l’absolution. Cette mort fut une émotion dans la petite Cour et, de Paris même, le Roi écrivit à sa mère une lettre de condoléances sur une pareille perte.

Mais, pour l’évêque de Luçon, ce fut une catastrophe, qui lui arracha un cri de désespoir. Que de deuils accumulés dans cette funeste année ! Sa belle-sœur, son neveu mort presque en naissant, puis son frère. Il faisait un triste retour sur ce qu’il appelait lui-même « ses malheurs continuels. » Ce frère lui était cher. C’était son nom, l’espoir de sa race, l’appui de son ambition, le confident de toutes ses pensées. Si, au cours d’une vie en proie à la plus desséchante des passions, il est une circonstance où le cœur se fondit et où des larmes humaines coulèrent, c’est assurément à cette heure ; il écrit au Père Cotton : « La douleur de la perte de mon frère me tient tellement saisi qu’il m’est impossible de parler et d’écrire à mes amis. » Longtemps après, il dira dans ses Mémoires : « Je ne saurois représenter l’état auquel me mit cet accident et l’extrême affliction que j’en reçus, qui fut telle qu’elle surpasse la portée de ma plume et que, dès lors, j’eusse quitté la partie, si je n’eusse autant considéré les intérêts de la Reine que les miens m’étaient indifférens. » Et, sur le coup même, dans des carnets intimes que personne ne devait voir, ni lire, il s’épanchait en de courtes réflexions qui respirent une forte et grave émotion : « La séparation du corps et de l’esprit ne se peut faire sans un grand effort de la nature, et celle de deux esprits qui ont toujours vécu ensemble en étroite amitié ne se fait pas avec moindre peine. — Il y a certaines choses à l’événement desquelles toute sorte de prudence ne peut pourvoir, parce qu’il n’est pas permis de les prévoir. — Celui qui doit et veut rendre sa vie à un autre ne pense pas volontiers à sa mort. — Jamais je ne