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qu’elle trouvait bon de me donner conseil. » Elle raconta, en hâte, tout ce qu’elle savait, tout ce qui se passait. Très froid, et maître de lui, il dit « qu’il n’avoit nul goût de se mêler des affaires qui étoient lors sur le tapis, parce qu’il étoit raisonnable que ceux qui les avoient commencées les missent à leur perfection. » Marie de Médicis entra dans ces vues, s’amusant beaucoup d’avance à l’idée de la surprise des autres. Le lendemain, elle leur transmit l’avis émis par l’évêque. « Jamais gens ne furent si étonnés. » Ils n’eurent pas de peine à deviner la manœuvre et à comprendre que l’homme prétendait rester en dehors du Conseil pour critiquer, à son aise, tout ce qui se ferait, sans prendre aucune responsabilité. Alors, par une volte-face subite, ils prêtèrent les mains à leur propre défaite, et supplièrent la Reine d’obtenir de l’évêque qu’il voulût bien assister à leurs délibérations. Il poussa sa pointe avec une implacable ironie : « Le lendemain, l’heure du Conseil étant venue, j’y entrai comme les autres et, pour montrer ma modestie, je faisais état de parler fort peu. » On le supplia de donner son avis. Il se fit prier, puis leur dit tout bonnement que, quant à lui, il aurait conseillé juste le contraire de ce qu’ils avaient fait jusqu’ici et de ce qu’ils prétendaient faire ; que, selon lui, il fallait s’arranger avec la Cour et non la piquer, parce qu’on n’avait pas les forces pour lui résister. Par cette seule et tranquille parole, il obtenait un double résultat : d’abord, il renversait tout ce qu’ils avaient échafaudé depuis des semaines ; et il les renversait eux-mêmes. En outre, il rendait, de bonne foi, le service que la Cour attendait de lui.

Ruccellai, qui, depuis l’affaire de Blois, avait tout fait pour conquérir la Reine et qui sentait qu’elle lui échappait, voulut brusquer la partie. En beau joueur, il mit, à Marie de Médicis, le marché à la main : « Deux jours après, le duc d’Epernon vint trouver la Reine pour lui dire que Rousselay, ayant su que Sa Majesté m’avoit donné ses sceaux (ce qui n’étoit pas vrai, bien qu’elle me les eût destinés dès Blois), étoit résolu de la quitter, si Elle continuoit en cette volonté. » La Reine ne répondit rien. Ruccellai était battu.

Il est vrai que d’Epernon lui-même était encore hésitant. Un moment, il avait eu l’idée d’opposer à l’évêque de Luçon un homme à lui, et il croyait l’avoir sous la main, dans la personne de l’habitant d’Angoulême chez qui, justement, Marie de Médicis était descendue, Guez de Balzac. Oui, Balzac, l’écrivain, Balzac