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son arrivée. Tout d’abord, il pose nettement à Marie de Médicis la question qui s’agite dans son esprit : doit-on subordonner l’intérêt de l’Etat à celui de quelques particuliers ? A-t-on assez d’empire sur soi-même pour dominer de vaines rancunes et s’écarter de conseils qui ne sont pas tous désintéressés ? « La Reine recevra divers conseils… Plusieurs s’offriront à lui servir. D’autres fomenteront les méfiances et les haines, et tout cela pour tirer des avantages particuliers au profit du tiers et du quart… Certes, la Heine doit conserver ses serviteurs : mais adviser s’il y en a qui la poussent à choses par lesquelles les jalousies et des hommes et de l’État prissent nouvelles racines : éviter et rejeter cela, considérant les conséquences par lesquelles elle se rendrait odieuse. »

La position est donc bien nette à l’égard de la cabale qui entoure Marie de Médicis. La Reine est avertie. Il faut qu’elle choisisse entre le bien public et celui des affamés qui l’entourent. Elle ne l’est pas moins en ce qui touche l’attitude nouvelle, toute de prudence habile et de réserve profitable, que l’évêque de Luçon voudrait voir prendre à l’égard de la Cour. C’est la pensée qui domine la rédaction du mémoire. L’évêque ne présente pas chat en poche. Si la Reine veut marcher dans ce sens, elle est prévenue ; mais, alors, qu’elle se prépare à le suivre jusqu’au bout.

Voici maintenant les faits. Ils se déroulent conformément au programme qui vient d’être tracé et qui, en somme, est accepté. Arrivé aux portes d’Angoulême, le 27 mars, jour du mercredi saint 1619, Richelieu fit sa première visite au duc d’Épernon, gouverneur et maître de la place. Celui-ci le reçut poliment, si l’on en croit son propre secrétaire et il le conduisit, lui-même, chez la Reine. Quoique avertie sous main, celle-ci était en Conseil. Richelieu, donc, fit antichambre, pendant qu’à l’intérieur on annonçait la nouvelle à Marie de Médicis et qu’on épiait l’effet sur son visage. Mais « elle savait parfaitement dissimuler quand il y allait de son service. » Elle put se contenir et laissa les esprits incertains. L’hésitation qu’on crut remarquer encouragea les plus hardis. Les insinuations se glissèrent. On dit à la Reine qu’elle devait se méfier de ce singulier revenant, envoyé par Luynes, et qu’elle serait sage en le tenant exclu du Conseil.

Le Conseil fini, la Reine reçut l’évêque. Seuls, ce fut l’heure des épanchemens. La Reine ne songeait qu’à la situation de son ami. « Elle prenait telle part à mes intérêts, dit-il lui-même,