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prise chinoise avait bien tourné. Il est vrai que, dans ce cas, c’est l’amiral Canevaro qui l’aurait passé sous silence, se réservant pour lui-même le mérite de l’invention. Ces manifestations parlementaires ont été peu sérieuses : elles ont seulement montré que la situation du ministère était désespérée. L’évidence du fait a été telle que le général Pelloux a demandé à la Chambre de vouloir bien lever la séance et en remettre la suite au lendemain. Le lendemain, il a apporté sa démission.

Depuis, la crise continue, et, après avoir traversé des phases assez diverses, elle a tout l’air d’être sur le point de se terminer : elle sera close sans doute lorsque cette chronique paraîtra, mais nous ne pouvons qu’en indiquer l’état actuel. Le général Pelloux a multiplié les démarches et les conversations ; il s’est adressé tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, un jour à M. le marquis Visconti-Venosta, le lendemain à M. Sonnino. Une paraissait d’ailleurs nullement pressé d’aboutir, et le peu de hâte qu’il a mis dans ses opérations a fait croire qu’il attendait quelque chose. Quoi ? L’occupation de San-Moun par des troupes italiennes. S’il en est ainsi, on pourra dire qu’en Italie les ministères démissionnaires, ou en formation, se sentent beaucoup plus forts que les autres : ils font ou laissent faire des choses qu’ils n’oseraient peut-être pas entreprendre s’ils étaient constitués et déjà responsables. Ce n’est pas encore là l’idéal du gouvernement parlementaire. Le général Pelloux a donné sa démission, non seulement pour ne pas être renversé, mais surtout pour empêcher la Chambre d’exprimer une volonté sur la question chinoise. Pendant l’intérim ministériel, la politique pressentie et moralement désavouée par le parlement continuerait-elle d’être appliquée et poursuivie jusqu’au jour où parlement et gouvernement se trouveraient en présence d’un fait accompli ? Si le général Pelloux a jugé, comme il l’a dit, que l’honneur interdisait le rappel des navires de guerre envoyés en Extrême-Orient, l’honneur, assurément, parlerait encore plus haut lorsqu’un acte militaire aurait été exécuté et que le drapeau serait définitivement compromis. Mais les bruits qui courent à ce sujet sont-ils exacts ? On hésite à le croire. S’ils l’étaient, il y aurait dans la conduite du général Pelloux un étrange mélange d’audace et de timidité, d’audace puisqu’il engagerait une entreprise périlleuse, et de timidité puisqu’il en fuirait la responsabilité devant le parlement. En réalité, nous ne savons rien ; l’événement seul nous instruira. En attendant, les influences les plus diverses s’agitent à Rome, et s’efforcent de devenir prépondérantes.

Nous avons signalé la réapparition de M. Crispi à la tribune, et peu importe ce qu’il y a dit ; il suffisait qu’il s’y montrât pour faire com-