Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

circonstances où elle se trouvait, ne pouvait s’empêcher d’en remplir ses lettres. Son fiancé lui ayant offert de renoncer à sa dot, et de chercher un emploi qui pût les faire vivre, généreusement elle avait refusé d’admettre son offre : force lui était donc de se préoccuper de son argent, dont jamais jusque-là elle n’avait pris soin. Charitable et désintéressée, vraiment poète par le cœur autant que par l’esprit, telle nous la sentons dans toutes ses lettres, et c’est cela même qui nous rend si pénible la lecture de certains passages où cette créature idéale nous laisse, tout à coup, entrevoir les faiblesses et les misères de son humanité. Comme le dit très justement M. Leslie Stephen, nous avons à tout instant « l’impression d’écouter aux portes ; » et quand nous entendons la jeune femme se plaindre de son père, quand nous assistons au récit qu’elle fait de tel épisode de sa jeunesse, ce n’est point pour elle, mais pour nous, que nous avons honte.

Les lettres de Browning, elles aussi, font le plus grand honneur à ce galant homme. Elles témoignent d’un amour sincère et profond, bien digne du noble amour qui lui a répondu. Je ne crois pas qu’on puisse y trouver l’ombre d’un sentiment égoïste, sauf peut-être une petite vanité d’auteur, très naïve et très excusable. Browning n’est ni intéressé, ni curieux, ni méfiant. De toute son âme il aspire au bonheur d’unir sa vie à celle de sa fiancée ; et, en attendant, il ne cesse pas de la consoler, de la réconforter, de l’entourer de soins respectueux et tendres. On devine que, du jour où il a rencontré la jeune fille, il n’a plus eu de pensée au monde que pour elle et pour ses poèmes : différant toutefois en cela d’elle, qui, depuis qu’elle l’a rencontré, n’a plus eu de pensée au monde que pour lui seul.


Mais si respectables que soient les lettres de Browning, elles ont le grave défaut d’être souvent ennuyeuses. Les plus beaux sentimens y sont exprimés avec une prétention qui en gâte l’effet : et l’on n’imagine pas une gaîté plus pesante, ni une plus complète absence de naturel et de simplicité. Ce ne sont que comparaisons péniblement déduites, métaphores maladroites, allusions entortillées et obscures qui, à tout instant, font naître des malentendus, et entraînent des explications plus confuses encore. Parfois même s’y mêlent des prosopopées : s’interrompant de parler à son amie, Browning interpelle brusquement un poète latin, ou la destinée ; il les tutoie, les invective, comme s’il prêchait au lieu d’écrire une lettre. Et je dois avouer que le fonds même des idées, dans ses lettres, paraît d’une qualité tout à fait médiocre. Browning touche tour à tour à mille sujets, depuis la religion