Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son ami de sujets délicats, et qui lui coûtaient à traiter, — et qui nous coûtent à voir traités par elle, — suppliait son ami de ne jamais lui répondre sur ces sujets, de n’y jamais faire aucune allusion. Et voici que ces lettres-là, et les autres, on nous les offre toutes, sans en retrancher ni sans y changer une syllabe ! Tous les noms propres y sont, toutes les dates, de façon qu’il n’y ait pas un des détails du roman d’amour que nous ne trouvions étalé devant nous. Et les héros de ce roman nous sont connus : l’un d’eux est mort il y a à peine dix ans ! Et c’est le fils de Robert Browning et d’Elisabeth Barrett Browning qui nous présente lui-même la série des lettres où son père et sa mère, avant leur mariage, se confiaient l’un à l’autre les secrets de leur cœur !

« Les lettres qu’on va lire, nous dit-il dans une note au début du recueil, sont les seules qui aient jamais été échangées entre mon père et ma mère : car, après leur mariage, ils ne se sont plus quittés un instant. Et, en songeant à l’usage que je devais faire de ces lettres, j’ai compris que je n’avais le choix qu’entre deux partis, dont l’un consistait à les publier, l’autre à les détruire. J’aurais pu, en vérité, laisser à d’autres le soin de trancher cette alternative, après ma mort : mais c’eût été, de ma part, éluder une responsabilité dont j’ai le devoir de porter le poids. Depuis la mort de ma mère, ces lettres sont restées enfermées dans un coffret où mon père les a mises, après les avoir soigneusement classées. Il a détruit lui-même tout le reste de sa correspondance : mais il a refusé de détruire ces lettres ; et il m’a dit à leur sujet, quelques jours avant sa mort : « Les voici, vous en ferez ce qui vous plaira quand je « serai parti ! » Quelques-unes d’entre elles n’ont peut-être que peu d’intérêt pour le public ; mais leur omission n’aurait abrégé le recueil que de peu de pages, et je préfère que la correspondance soit publiée tout entière. »

M. Robert B. Browning aurait bien dû « omettre » au moins certains passages où ses parens protestaient contre la publication de lettres intimes, et d’autres documens du même genre. « L’idée d’une publicité quelconque me fait horreur, écrivait Elisabeth Barrett ; et il n’y a pas un de mes papiers que je ne souhaite de voir détruit après moi. » Elle poussait si loin « l’horreur de la publicité, » qu’elle n’admettait même pas que Browning lui dédiât aucun de ses poèmes. « Croyez-moi, lui disait-elle, je ne voudrais pour rien au monde voir mon nom imprimé en tête d’un de vos livres. Je ne puis supporter d’entendre de vous des mots que le reste du monde entende avec moi ! » Ce n’est pas elle qui, en mourant, aurait laissé à son fils toute liberté de « faire ce qu’il voudrait » de leurs lettres d’amour. Et peut-être