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LES REVUES ÉTRANGÈRES

UN ROMAN PAR LETTRES


The Letters of Robert Browning and Elizabeth Barrett Browning (1845-1846), 2 volumes ; librairie Smith and Elder, 1899.


Il y avait une fois une jeune fille qui, maladive, à demi paralysée, forcée de passer ses journées sur une chaise longue, se distrayait de ses tristesses en écrivant des vers. Ses tristesses, d’ailleurs, ne lui venaient pas seulement de sa mauvaise santé, et de la vie de recluse où elle était condamnée. Elle avait en outre à subir la monstrueuse tyrannie d’un vieillard égoïste et dur, son père, qui semblait s’être donné pour tâche de tourmenter ses enfans, leur défendant de sortir, de recevoir des visites, les empêchant de prendre leur part d’aucun plaisir, et allant même jusqu’à leur signifier que jamais il ne consentirait à les laisser se marier. Et au poids de cette tyrannie s’ajoutait, pour la jeune fille, une autre peine plus lourde encore à porter. Durant une cure qu’elle avait faite au bord de la mer, elle avait obtenu d’avoir près d’elle un de ses frères, son préféré, l’unique ami qu’elle se connût au monde ; et, un jour, son frère s’était noyé, presque sous ses yeux, dans une promenade : de sorte que, depuis lors, la malheureuse était hantée du souvenir de cette catastrophe tragique, dont elle se reprochait d’avoir été la cause. Mais toutes les souffrances n’avaient fait que développer et affiner l’âme de poète qui était en elle. Nourrie de Sophocle et de Virgile, elle se divertissait à exprimer les rêves les plus secrets de son cœur en de beaux vers, d’une pureté,