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mêmes sont pleines d’ombre. Elles disent à peu près ceci : « O mon cygne, mon cygne taciturne, mon cygne au blanc plumage ! Jamais le moindre chant n’avait révélé ta voix. Timide et craignant les elfes, tu glissais lentement, en cercle, sur les eaux. Mais, au moment de me quitter, alors, oui seulement alors, tu chantas. Ta vie s’acheva mélodieuse ; tu es mort en chantant. Tu étais un cygne pourtant ! un cygne ! » Autant que la poésie, la musique est incertaine, et son incertitude fait sa beauté. Musique où tout interroge, où tout appelle, où rien ne répond. Musique flottante et jusqu’à la fin suspendue, qui semble se prendre aux paroles comme un brouillard du soir aux roseaux de l’étang. Un seul cri d’angoisse, presque d’horreur, la traverse et la déchire. Puis elle se referme, s’apaise, et ses derniers accens ne trahissent plus, — avec quelle intensité ! — que le doute et le regret. Quel regret et quel doute ? N’est-ce vraiment qu’un cygne que cette musique pleure ? Ou quelque chose d’humain, de divin peut-être, un peu d’âme et d’amour était-il caché sous la forme blanche de l’oiseau ? Que ces dernières notes sont étranges et profondes ! Elles évoquent à la fois le mythe antique de Léda et cette légende plus pure du Nord, où des fils de roi sont changés en cygnes sauvages. Tout cela se mêle et se fond dans notre pensée ou dans notre rêve. La mélancolie sans cause, mais sans bornes, de la mélodie, semble s’étendre autour de nous, et nous éprouvons, une fois de plus, sans la comprendre, la puissance et la beauté mystérieuse des sons, faite d’une idée indéfinissable et d’un sentiment infini.


CAMILLE BELLAIGUE.