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voguent de conserve avec autant de lenteur que de légèreté. Rien ne pèse, rien ne se hâte et tout s’arrondit. La musique, art du temps, a beau n’être que très peu dans l’espace, elle y est cependant un peu, elle y décrit des lignes. Or, ici, toute ligne est courbe. L’accompagnement ne consiste qu’en des arpèges égaux et (circulaires, et si parfois l’élégante et svelte mélodie monte, file droit et porte haut la tête, c’est, comme un col de cygne, pour s’infléchir encore et se rengorger.

La cantilène de M. Saint-Saëns est la silhouette ou le portrait sonore de l’oiseau. D’autres musiciens ont fait du cygne le confident ou le symbole d’une pensée ou d’un rêve. « Un cygne ! un cygne ! » s’écrie le peuple, apercevant au loin, sur le fleuve, l’oiseau couleur de neige qui traîne la nacelle du chevalier à l’armure d’argent. Et ce cri provoque un des plus beaux « ensembles, » une des scènes de foule les plus animées et les plus vivantes qu’il y ait dans la musique de théâtre. C’est au cygne que s’adressent les premières paroles de Lohengrin, et presque les dernières aussi : les unes, qui sont comme un congé si tendre, si reconnaissant et si mélancolique ! les autres, celles d’un revoir, hélas ! plus amer et plus déchirant que n’avait été l’adieu.

Un cygne est le compagnon de Lohengrin, un cygne fut la victime de Parsifal. Le héros ingénu l’a tué, dans l’emportement involontaire, un peu sauvage, de sa jeunesse, de sa force et de sa liberté. Alors paraît Gurnemanz, le vieil écuyer du Graal, gardien des jardins fleuris et de leurs hôtes sacrés : « Comment, demande-t-il d’une voix sévère, comment as-tu pu commettre ce meurtre ? Ici toutes les créatures t’avaient accueilli. Sur les branches, pour toi, les oiseaux chantaient. Et le cygne, le cygne fidèle, que t’avait-il donc fait ? » La musique de Wagner ne se borne pas, comme celle de M. Saint-Saëns, à la description. Elle a pour objet non pas la beauté du cygne abattu, mais une beauté supérieure, toute de sentiment, de morale même, dont la blanche dépouille n’est que l’occasion ou le prétexte. Sous le reproche du vieillard à l’enfant inconsidéré, les accords étranges et simples de Lohengrin reviennent doucement ; un des motifs religieux du Graal chante aussi, rappelant avec tristesse la loi de bonté, de respect et d’amour universel pour l’universelle vie, et l’outrage que cette loi vient de souffrir. La mort du cygne dans Parsifal, c’est du saint François d’Assise en musique.

Mais je ne saurais dire avec exactitude ce qu’est la mort d’un autre cygne, que, dans une mélodie de quelques mesures, deux grands artistes du Nord, Ibsen et Grieg, ont chantée. Je ne connais pas de lied à la fois plus attirant et plus mystérieux que celui-là. Les paroles