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Charles qui t’aime par-dessus tout[1]. » Ce billet, le dernier que Weber ait tracé, fut reçu par une femme veuve et des enfans orphelins. Il est daté du 2 juin. Le 4, à dix heures du soir, le maître se retira dans sa chambre, et doucement, bercé peut-être, comme son Obéron lui-même, par le chant des génies, il s’endormit pour ne plus se réveiller.


Il est bien tard pour vous raconter, après tant d’autres, le ballet de MM. Catulle Mendès et Charles Lecocq, le Cygne. La fantaisie hellénique et gauloise, — gauloise surtout, — du poète a fait de Pierrot le rival d’abord, puis le meurtrier, enfin l’heureux et blanc successeur, — heureux parce qu’il était blanc, — de l’oiseau chéri par Léda. Un cygne et Pierrot, Pierrot pris pour un cygne ; ainsi le sujet de cette pantomime est à la fois une antithèse et une équivoque, ou plutôt, comme dit la Bible, une confusion.

Moins légère que le poème, la musique ne manque cependant pas de légèreté. Facile toujours, souvent banale, elle n’a presque jamais paru grossière. J’ai regretté seulement que des fioritures, ou, puisqu’il s’agit d’oiseau, des « cocottes » gâtent un peu l’unique mélodie vocale de cette œuvre chorégraphique, la cantilène mélancolique et vraiment plaintive du cygne mourant

Mais il est d’autres cygnes, auxquels celui-ci fait songer. Connaissez-vous, dans l’œuvre si varié de M. Saint-Saëns, un album de zoologie musicale appelé le Carnaval des animaux ? La page consacrée au cygne, et qui n’a rien de carnavalesque, ou seulement de comique, est quelque chose d’exquis. « Le cygne, dit Buffon, règne sur les eaux à tous les titres qui fondent un empire de paix : la grandeur, la majesté, la douceur. » Cela, c’est la description abstraite du cygne. Si maintenant, après l’écrivain, nous écoutons le musicien, chacun de ces caractères, abstraits tout à l’heure, nous deviendra pour ainsi dire présent et sensible, et tandis que la phrase littéraire n’exprimait que l’idée de grandeur, de majesté, de douceur, de paix, un chant de violoncelle, accompagné par le piano, sera lui-même quelque chose de grand, de doux, de pacifique et de majestueux. Et tout cela sans doute, si le litre n’était donné, ne nous ferait pas deviner ou reconnaître un cygne ; mais, étant donné le titre, aussitôt tout cela s’applique au cygne et lui ressemble merveilleusement. L’image à peine évoquée par le mot, chacun des élémens de la musique s’y rapporte. Excepté la blancheur, tout est rendu. Accompagnement et mélodie glissent et

  1. Cité par M. Henri de Curzon dans ses Musiciens du temps passé, 1 vol. chez Fischbacher, 1893.