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fois intérieurs et supérieurs s’est accru, de Weber à Wagner, l’intérêt du drame lyrique et sa beauté, et comment il est vrai que Lohengrin, pour n’être pas une plus belle chose qu’Obéron, est cependant plus de choses et plus de belles choses ensemble.

Mais la musique même d’Obéron, cette musique en soi est admirable. Elle a la force avec la grâce, la verve, le naturel, l’éclat direct et le perpétuel jaillissement. Ni l’action, ni l’analyse des caractères, ni la vérité, ni la poésie ne lui sont d’aucun secours. Elle a tout à faire seule et seule elle fait tout. Il y a des chefs-d’œuvre musicaux qui peuvent être bien ou mal représentés, et nous venons de voir que Guillaume Tell se trouve présentement dans le second cas. D’autres, comme Obêron, semblent ne pouvoir pas être représentés du tout.

Il est certain d’abord que le genre fantastique, très favorable à la musique, se prête mal à la figuration par le décor et la mise en scène. La réalité visible dément et détruit l’illusion sonore, et pour ce motif Obéron n’est pas plus un spectacle que le Songe d’une nuit d’été, ou la Damnation de Faust. Mais, de plus, Obéron n’est pas le moins du monde un opéra, j’entends un drame, une action, surtout une action intérieure et sentimentale, en musique. Le sujet est absurde et les personnages n’existent pas. Rezia seule, une ou deux fois, est vivante. Elle l’est avec une grandeur héroïque, dans la scène de l’Océan ; elle l’est avec une grâce exquise, le soir, au fond de son palais d’Orient, lorsque autour du sombre chœur des gardes sa voix trace une arabesque d’or. Et voilà justement les deux seuls passages où la représentation scénique puisse ajouter à la beauté musicale, où voir soit réellement pour nous un peu plus qu’entendre seulement. Le reste, tout le reste, est musique pure : je veux dire une musique capable de créer seule et seule capable de créer le monde merveilleux où elle nous transporte. Musique parfaite aussi, car la représentation d’Obéron, par la stupidité du livret, peut être quelquefois ennuyeuse et même ridicule ; la lecture en est un continuel enchantement. Pas une tache, pas une défaillance. Et lui non plus, le pauvre grand maître, jusqu’au bout il n’a pas défailli. Jusqu’au bout, seul et malade en Angleterre, il a trompé sur son mal, et sur la mort qu’il sentait prochaine, ceux qu’il avait quittés en pleurant pour qu’ils fussent moins pauvres après lui. Peu de semaines après la première représentation d’Obéron, il leur écrivait : « Dieu vous bénisse tous et vous conserve en bonne santé. Oh ! que ne suis-je seulement déjà au milieu de vous ! Je t’embrasse du fond du cœur, ma chérie ; aime-moi bien aussi et pense avec joie à ton