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musique est simplement détestable. Elle l’est en tout, par le fait et même par la faute de tout le monde. L’artiste qui chante Guillaume le chante avec une emphase, une enflure de la voix et du geste, qu’on pouvait ne pas attendre, ou craindre, de celui qui fut dans Tannhaüser un Wolfram simple et touchant. Il ne prononçait pas alors : « O douce étoâle, feu du soâr. » Pourquoi prononcer aujourd’hui : « Il chante, en son ivrâsse, ses plaisirs, sa maïtrâsse. » Pourquoi ces mots démesurément ouverts et ces notes finales prolongées démesurément ? Guillaume pèche par excès ; Arnold par défaut. Le style de l’un est trop lâche ; trop étriqué celui de l’autre. « Je te sové, dit-il, toi, la fille des rois ! » et l’admirable récitatif, ce flot de paroles stupides et de sublime musique, toute cette divagation grandiose, éperdue, se change en un misérable caquet. Faut-il parler de Walther, et des rugissemens échappés d’une bouche que Victor Hugo n’eût pas manqué d’appeler la bouche d’ombre ! Hélas ! et le pêcheur ! Un directeur de l’Opéra comprendra-t-il jamais qu’il est des rôles de petites dimensions et de grande importance ; que la chanson du pêcheur n’est pas un hors-d’œuvre banal, mais le premier rayon, le premier sourire du matin sur les eaux ; que pour donner cette impression il faut une voix, un talent, une silhouette, une attitude, un artiste enfin, au lieu d’un médiocre coryphée niaisement appuyé sur un aviron, dont il continue d’user, comme d’une gaule, longtemps après qu’il est descendu de son bateau. Mathilde est plus acceptable. Sans doute elle ne soupçonne guère tout ce qu’il y a dans : Sombres forêts. Mais il y a tant de choses ! Je me souviens d’avoir entendu Mme Carvalho chanter cet air. Par la pureté de la voix, par l’ampleur du style, elle en faisait un admirable paysage. On songeait à l’amica silentia lunæ de Virgile, au « grand secret de mélancolie » de Chateaubriand, à la « chaste obscurité des branches murmurantes » de Victor Hugo, et l’on était forcé de reconnaître que tant de paroles, et si belles, n’avaient jamais exprimé comme deux mesures seulement de cette cantilène, le mystère de la nuit et des bois.

J’admets qu’il soit malaisé, pour la direction de l’Opéra, de remédier à l’insuffisance des artistes, mais il lui serait facile d’agir sur l’orchestre, sur les chœurs, ou contre eux. Les chœurs, l’orchestre, cela pourrait, devrait être excellent ; cela comme le reste, encore plus que le reste, est tombé fort au-dessous du pire. À ce double point de vue, une première représentation à l’Opéra est quelquefois satisfaisante ; une représentation ordinaire est le plus souvent honteuse. Il est temps de s’en plaindre, et très haut. « Il faut parler, » comme dit Arnold. Aussi bien, depuis longtemps et de toutes parts, on nous y