Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même fâcheux d’avoir mêlé un personnage dont l’habit est respectable à cette histoire d’une coucherie et de ses suites. L’abbé Bloquin donne à Mme Versannes le conseil de quitter son amant, de retourner à son mari. Ce conseil aurait du moins l’avantage d’éviter un grand malheur aux enfans déjà nés de Mme Lambert et qui sont fort innocens de tout ce qui se passe. Au surplus, ce n’est pas la faute de l’abbé Bloquin, c’est la faute de Mme Lambert, si elle s’est mise dans une situation d’où il est, de quelque manière que ce soit, impossible de sortir décemment. Mais nous ne sommes pas dans la réalité, nous sommes au théâtre, où la seule morale qui ait cours est la morale la plus conventionnelle. Au théâtre, nous ne voyons qu’une chose, et à notre grand scandale, c’est que l’abbé Bloquin conseille à Mme Lambert un mensonge : comme si, depuis le jour où elle a commencé d’avoir avec son amant des relations probablement clandestines, la chaste Mme Lambert ne s’était pas enfoncée dans le mensonge jusqu’au cou ! Un prêtre conseillant un mensonge ! Les voilà bien, les conseils de la religion ! Qui dit religion, dit hypocrisie… Encore une fois, tout cela n’est pas sérieux. Mais que cela est de mauvais goût !

C’est de plusieurs degrés que les auteurs de ce temps nous auront fait descendre dans la vilenie. De plus en plus nous perdons jusqu’à la notion de ce que ce peut être qu’un homme bien élevé. À ce point de vue, la conversation de Versannes avec son ami Morins est très significative. Il ouvre largement, pour l’édification de ce tiers, l’alcôve conjugale et l’autre. On avait cru longtemps que, dans ces sortes de matières, une certaine discrétion s’impose. Hier encore, ce gentleman eût passé pour un goujat.

Enfin il y a toute une série de détails, de symptômes et d’images que je n’avais pas vu encore étaler avec cette complaisance au théâtre ou du moins sur les scènes où on a quelque souci de dignité. Sauf erreur, je ne me souviens pas qu’on eût encore à la Comédie-Française mis à la scène le diagnostic de la grossesse. C’est par là que le Torrent pourra avoir sa place dans l’histoire des progrès du théâtre contemporain. Au premier acte, Mme Lambert se trouve incommodée. Elle a le cœur tout brouillé. Et ces maux de cœur ne sont que le classique avant-coureur d’une situation intéressante. Au second acte, elle informe Versannes de son état, et elle se plaint d’être un peu gênée pour lui faire cet aveu qu’elle eût préféré lui murmurer très bas quand ils auraient été dans l’intimité la plus douce, la plus confiante, à l’un de ces momens où l’on se dit tout. Ces choses difficiles à avouer dans le tête-à-tête on va donc les dire tout haut devant douze cents personnes