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Il est vrai qu’une plainte s’élève d’un bout à l’autre du territoire sur les campagnes qui se vident, sur les foyers qui s’éteignent, sur les destinées qui se déracinent, sur les héritages qui se morcellent, sur « la terre qui meurt. » Mais cette plainte n’est pas nouvelle. Le moyen âge l’entendit. La Révolution en trembla. Et, dès avant notre ère, quelque dix-neuf cents ans avant que le Jean Macquart de M. Zola quittât son champ pour rengager, ou que le Lumineau de M. Bazin entrât comme employé au chemin de fer, elle retentissait déjà dans l’exclamation douloureuse du poète :


Non ullus aratro
Dignus honos ; squalent abductis arva colonis !


Il est vrai aussi que chez ceux qui restent fidèles aux champs, on dit que les mœurs ont fléchi, que le courage a manqué, que la simplicité s’est perdue. Cependant si nous regardons, à côté de la salle des Lhermitte, le panneau occupé par les dix toiles de M. Cottet, salle VIII, nous voyons les paysannes qu’il a peintes, petites-filles ou arrière-petites-filles des pirates d’Ouessant, courbant leurs têtes bien naïves et leurs bonnets bien simples sous une douleur bien sincère. Dans le rythme égal qui penche les visages de ces tableaux et de ces pastels vers le centre du panneau, on peut voir l’affliction, mais non la faiblesse. Dans les yeux, on ne peut lire aucun reproche pour l’Océan perfide et vert, d’où vient la mort, mais d’où l’on tire aussi la vie de chaque jour. Cette vieille semble chercher dans sa mémoire d’autres deuils plus anciens, le jour déjà éloigné où, ne voyant pas revenir son homme, elle interrogea les camarades, et où on lui répondit : « Il garde le bord. » Celle-là, plus jeune, presque une enfant, s’appuie pour pleurer sur l’épaule d’une amie fidèle et grave. Et toutes ces figures ramènent le regard vers l’étrange enfant mort, qui peut paraître irritant dans sa parure suprême, mais qui témoigne que les traditions mystiques de ces paysans de la mer ne sont point si perdues.

Il est vrai encore que le style et le pittoresque s’évanouissent chaque jour. Mais si l’on continue à visiter les salles de la Société nationale, on trouve, salle XVIII, deux toiles de M. Eug. Burnand, intitulées Repos sous les Pins et Solitude, qui témoignent assez que sur nos rives de la Méditerranée, on voit encore passer, conduisant les troupeaux transhumans, les silhouettes bibliques