Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains pleines d’émeraudes et d’ors, qui a rempli tant de regards éteints aujourd’hui de la vision fameuse intitulée la Malaria… Mais son art qui cependant n’a pas changé nous paraît plus jeune qu’autrefois. Il n’étonne plus ni ne détonne, comme il détonnait encore il y a cinq ou six ans. Dans leur évolution vers le clair-obscur, les « jeunes » rejoignent peu à peu le vieux maître immobile. Comme dans un chœur une note tenue longuement, pendant les harmonies de la foule, retentit encore quand toutes les autres voix ont cessé, ce chant grave, si longtemps bafoué ou étouffé sous les clameurs aiguës de l’impressionnisme, s’élève à nouveau dans le désarroi des écoles nouvelles et le silence étonné qui se fait.

Ainsi disparait, avec l’intérêt qu’éveillait naguère le Salon, la passion qu’on mettait à discuter les théories d’art quand on pouvait les croire grosses de chefs-d’œuvre. L’incohérence est à son comble. Le désarroi est unanime. À vouloir tout comprendre des fantaisies modernistes et tout encourager, la critique est parvenue à semer dans le public la défiance qui se déprend et le scepticisme qui décourage. Ses dédains n’ont rien tué. Ses prophéties solennelles n’ont rien fait naître. On ne les relirait pas aujourd’hui sans rire. Les théories tranchantes du plein air, des « fenêtres ouvertes sur la Nature, » des lumières reflétées, du mélange optique des couleurs, pour vraies qu’elles fussent en partie, n’ont point réalisé les merveilles qu’on attendait. Les routines contraires n’ont point perdu les vieux maîtres qui s’y sont rencognés. On n’est même point parvenu à créer dans l’art deux grands partis de whigs et de tories, correspondant aux deux Salons rivaux. Ces Salons se croient séparés par des abîmes, mais, entre eux, le public n’aperçoit que l’espace d’un restaurant. Il n’y a pas deux âmes différentes dans ce grand corps osseux du Palais des machines, et n’était l’organisation incomparablement supérieure du Salon de la Société nationale, dite du Champ-de-Mars, le public ne ferait aucune différence. Car toutes les idées d’art se rapprochent, tous les résultats se confondent. La concentration se fait d’elle-même. C’est la déroute de l’absolu.

Une seule tendance générale s’observe également dans les deux Salons, chez toutes les écoles et à peu près dans toutes les salles, et ce n’est pas une tendance technique. C’est le choix non concerté, presque inconscient, d’un thème semblable : la vie rurale. Jamais tant de paysans n’avaient envahi le Salon. Jamais on n’y avait