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a créé la chanson politique et la chanson nationale. En même temps, il s’est élevé au ciel avec confiance et sérénité (Il est un Dieu; devant lui je m’incline). Exemple de l’art calme et contenu comme les époques les mieux organisées en ont produit. Mais Pierre Leroux fait remarquer que c’est un exemple unique[1].

Ces explications ingénieuses valent ce qu’elles valent : peut-être serait-il plus simple de dire que toute règle a ses exceptions ; et, exceptions à part, il resterait encore à citer assez de grands noms pour autoriser cette loi générale, que la poésie du XIXe siècle est une poésie de désolation : Goethe, Chateaubriand, Byron, Lamartine et Victor Hugo (plus tard il aurait pu ajouter, Musset et de Vigny) sont tous les poètes de la mélancolie et du désespoir. Ici encore on fait des réserves, on objecte que Lamartine et Chateaubriand sont des poètes chrétiens, religieux, et par là même des chantres de foi, non de doute et de révolte. Ici Pierre Leroux nous paraît avoir démêlé avec sagacité ce que l’avenir a pleinement démontré : c’est que leur christianisme n’est qu’un reflet, un souvenir, un désir plutôt qu’une foi réelle, et qu’il recouvre un fond de doute et d’inspiration pessimiste. « C’est un préjugé, dit-il, qui fait considérer Lamartine comme un poète chrétien, je dirai presque comme un poète sacré. » Ses affinités avec Byron sont dissimulées sous cette enveloppe de christianisme. Mais, même au point de vue religieux, Lamartine ressemble plus à un panthéiste qu’à un vrai croyant. Panthéiste de sentiment plus que d’intelligence, il voit s’absorber tous les êtres dans l’être des êtres. Espérance, foi, charité, terre et ciel, tout a disparu devant la solitaire contemplation de l’Être où tout va s’engloutir. » Tel est bien, en effet, le caractère des Harmonies et même de Jocelyn, Pierre Leroux ne connaissait pas encore, à cette époque, la dernière transformation de Lamartine. Il lui reproche de ne rien comprendre à l’humanité ; mais le Lamartine politique et révolutionnaire est devenu plus tard humanitaire et quasi socialiste, au moins dans le sens vague que l’on donne aujourd’hui à ce terme. Mais au temps même le plus religieux de ses phases poétiques, le croyant n’était encore qu’à la surface ; le byronisme était au fond; ce qui domine en lui, c’est la mélancolie et la terreur. Il vit dans un état de tremblement perpétuel, ne cesse de répéter que tout est vanité et que toute pensée est une erreur.

  1. Introduction à la traduction de Werther.