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par lui à l’histoire de la pensée, d’avoir vu dans la Querelle des Anciens et des Modernes autre chose qu’une petite querelle littéraire circonscrite dans quelques années du siècle de Louis XIV, un débat entre Boileau et Perrault, et plus tard, entre Dacier et Lamotte, c’est d’avoir rattaché cette querelle à la philosophie et au grand problème du progrès et de la perfectibilité. Hippolyte Rigault, dans une thèse célèbre présentée à la Sorbonne sur le même sujet, a pris cette idée pour base de son travail, et il l’a empruntée à Pierre Leroux. Celui-ci commence par rappeler le morceau célèbre de Pascal, qui a exprimé d’une manière mémorable et sans réplique l’idée du progrès dans la science : « De là vient, dit Pascal, que non seulement chaque homme s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différens d’un particulier. De sorte que la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement; d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes; car comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, on voit que la vieillesse de cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de son enfance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés. Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux, et c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres. » Voilà bien la doctrine du progrès. Si Pascal eût écrit ces pages sans restriction et sans réserve, il eût fondé la religion de l’avenir sur le principe du progrès, comme le christianisme s’était fondé sur le principe de la charité. Mais Pascal était chrétien, et autant il avait de foi dans le progrès scientifique, autant il mettait de soin à démontrer qu’il n’y a pas de progrès dans la philosophie religieuse. Là il laisse la plus grande part à l’autorité : « Où l’autorité a sa principale force, c’est dans la théologie ; parce qu’elle est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle. » Mais la réserve de Pascal en faveur de la théologie ne pouvait pas se maintenir. « Vainement, dit Pierre Leroux à Pascal, tu t’enchaînes à l’autorité sur ce qui tient à la foi; tandis que sur ce qui tient à la science, tu repousses l’autorité et tu en appelles à la raison. Tu es trop humble et trop superbe. S’il s’agit des idées