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« C’est la loi de succession et d’enchaînement de tous les grands monumens de langage, tant sous le rapport du fond des idées et des sentimens que sous le rapport de la forme. » Selon Pierre Leroux, toutes les autres matières philosophiques, celles du droit, des sciences, de la musique, de l’architecture, toutes ont bien moins d’objets que l’histoire de la littérature. M. de Bonald a dit que la littérature est l’expression d’une époque et d’une société. Si cela est, l’histoire littéraire est l’approximation la plus exacte des progrès de l’esprit humain. On n’a jamais considéré l’histoire littéraire que d’une manière fragmentaire. Chaque individu y paraît isolé, séparé, sans qu’on cherche l’unité qui les embrasse tous, qui les lie à ce qui précède et à ce qui suit, suivant le mot de Leibniz : « Le présent est issu du passé et est gros de l’avenir. »

D’après les principes précédens, Pierre Leroux se demande d’où est sorti le XVIIIe siècle. On dit que c’est de la Régence qu’est né le mouvement incrédule et railleur du XVIIIe siècle. Mais c’est ne voir dans ce siècle que sa forme extérieure; c’est ne pas le comprendre dans ce qu’il a de vivant et de progressif; c’est fermer les yeux sur son audace, son enthousiasme, son esprit de progrès. Laissons dans Voltaire son scepticisme; ne voyons en lui que son amour de l’humanité : c’est là son étoile, sa foi, sa religion. Laissons à Rousseau ses misères et ses vices, et voyons surtout chez lui le défenseur de l’égalité. Le XVIIIe siècle n’est donc pas seulement, comme disaient les saint-simoniens, une époque critique; il est encore une époque organique. D’où est venue notre vie actuelle, si le XVIIIe siècle n’était qu’impiété et destruction! En passant, Pierre Leroux raille l’école de Bûchez, qui ne voit dans Rousseau qu’une continuation du catholicisme et qui rattache la Convention au moyen âge et Robespierre à Hildebrand. Le XVIIIe siècle n’est donc pas seulement une époque de négation et de destruction. Il y a un lien positif entre ce siècle et le précédent. Ce lien, c’est la doctrine de la perfectibilité.

On rattache d’ordinaire la doctrine du progrès à la philosophie du XVIIIe siècle; on la fait naître avec Turgot et Condorcet. Mais elle remonte beaucoup plus haut; elle a ses racines dans le XVIIe siècle, et elle se rattache à la Querelle des Anciens et des Modernes : c’est là la vraie origine de la doctrine du progrès. L’idée du progrès a été introduite par Pascal dans les sciences, et par Ch. Perrault dans les lettres.

C’est un des mérites de Pierre Leroux, et un vrai service rendu