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quoi on condamnerait la vraie doctrine sur Dieu. Non seulement les athées qui excluent Dieu du monde, mais les spiritualistes qui le font gouverner du dehors par l’ordre et l’agencement des créatures, réduisant ainsi l’action de Dieu à une action mécanique, excluent également Dieu du monde. Or cela est contraire à toute la tradition théologique et chrétienne. Le premier mot du christianisme n’est-il pas de dire: Dieu est partout! Saint Paul n’a-t-il pas dit : « Nous sommes en Dieu, nous vivons, nous respirons en lui. » Et saint Jean: « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.» Bien plus, Jésus lui-même serait panthéiste lorsqu’il dit : « O père, tu es en moi, comme je suis en toi. Je leur ai fait part de la lumière que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un, comme nous sommes un. Je suis en eux et tu es en moi afin qu’ils soient perfectionnés dans l’unité[1]. »

De ces propositions générales, Pierre Leroux déduit plusieurs propositions particulières : « Tous les êtres reflètent Dieu en ce double sens: 1° qu’ils sont tous triples et un à la fois dans tous les actes de leur vie ; 2° que Dieu, triple et un, intervient dans chacun de ces êtres. » Nous ne pouvons saisir une partie quelconque de l’univers sans saisir la vie universelle. Nous ne pouvons comprendre le particulier sans comprendre en même temps le général. L’infini entre dans chaque fait fini de notre intelligence. L’univers n’est pas un agrégat de sensations ou de phénomènes. Qui liera et enchaînera ces phénomènes? Qui les fera vivre dans notre esprit, qui fera vivre l’esprit lui-même? Toutes ces propositions sont d’une vérité incontestable ; mais Pierre Leroux semble leur donner une signification trop matérielle, lorsqu’il ajoute que notre intelligence repose « sur un contact des fluides généraux », et même que ces fluides, « lumière, chaleur, électricité ne sont qu’un seul fluide correspondant aux vibrations des particules constitutives de chaque corps. » On peut sans doute admettre que nous ne sentons que par l’intermédiaire des fluides généraux : mais est-ce là ce que l’on doit appeler Dieu, et un tel Dieu est-il bien différent de la nature des athées, ou de la substance universelle des panthéistes ?

Mais peut-être n’est-ce encore là qu’une forme extérieure donnée à l’idée de Dieu. C’est ce qui pourrait résulter des propositions suivantes : « Dieu, c’est l’intervention de la vie universelle,

  1. Nous reproduisons la traduction plus ou moins libre de Pierre Leroux, parce que cette traduction fait partie de sa pensée.