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de Dieu, » mais : « Aimez Dieu dans les autres, et en vous-mêmes. » Dieu n’est pas hors du monde, et notre vie n’est pas séparée du reste des autres créatures. La solidarité, c’est l’identité du moi et du non-moi.

Dans le christianisme, c’était l’Eglise qui était chargée d’organiser la charité. Avec la solidarité, c’est la société temporelle qui sera chargée d’organiser la charité. On voit que l’humanitarisme aboutit de toutes parts au socialisme.

Ce ne sont pas toutefois les conséquences socialistes que Pierre Leroux développe ici, ce sont les conséquences religieuses. La doctrine de la charité aboutissait à une doctrine de l’immortalité. Cette doctrine, c’était le dualisme du ciel et de la terre. C’est dans le ciel qu’on arrivait à la véritable égalité, à la véritable fraternité : ici-bas, les hommes restaient les serviteurs les uns des autres; dans le ciel, disparaissaient toutes les misères et toutes les douleurs. Ici-bas, il fallait les supporter et s’y résigner. Un autre dualisme c’est celui du paradis et de l’enfer. « Il n’y a pas de paradis, il n’y a pas d’enfer hors du monde et de la vie. » Si vous placez dans le ciel le bien absolu, il s’ensuit que la terre est le séjour du mal absolu ; déshéritant cette terre, c’est-à-dire votre vie présente de toute infinité virtuelle, vous la livrez à la mort et au néant. Cette terre était éternelle, vous la faites périssable; elle n’avait de périssable que l’accident, vous la faites périssable dans son essence. De là, deux conséquences : les uns en voyant que le ciel imaginaire délaissait la vie présente, ont abandonné la terre à la fatalité; les autres, regardant le ciel comme une folie, ont nié toute immortalité, et ils ont supprimé le ciel. Tous sont arrivés à l’égoïsme : les uns à l’égoïsme superstitieux du dévot, les autres à l’égoïsme impie de l’athée.

L’erreur est de n’avoir pas vu ce qu’il y a d’infini dans le monde. Le passé, le présent, le futur n’existent pas séparément l’un de l’autre. Ces trois momens s’impliquent et ne font qu’un seul tout qui est la vie. Il n’y a donc pas à chercher un autre ciel que le ciel terrestre : « Le ciel est sur la terre, » Dieu n’est pas hors du monde, et le monde n’est pas séparé de Dieu : « In Deo vivimus, movemur et sumus; Kepler développant cette grande pensée a dit : Hoc enim cœlum est in quo vivimus, movemur et sumus, et omnia corpora mundana. Le ciel vit doublement pour ainsi dire; en tant qu’il existe et en tant qu’il se manifeste. Invisible et infini, il est Dieu; visible, il est le fini, il est le monde. Dieu est au sein