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foudroyans le soir de la bataille, aurait été très efficace encore le lendemain. L’eussions-nous voulu, nous aurions dû y renoncer faute de vivres suffisans ; toutes les voitures du pays ayant été réquisitionnées par l’ennemi, celles de l’administration française suffisaient à peine au transport des blessés[1].

Ce stationnement n’était pas compris par l’armée. Il en résulta une sorte d’énervement d’imagination qui se traduisit, le 25, par une de ces paniques que les meilleures troupes éprouvent parfois et dont les plus célèbres sont celle qui précéda Austerlitz, et celle qui suivit Wagram. Des cavaliers envoyés en reconnaissance, apercevant quelques fuyards autrichiens encore en deçà du fleuve, se figurèrent que ces fuyards opéraient un retour offensif. Ils partent au galop, entraînant la brigade tout entière, et deux mille chevaux se précipitent à travers le camp ; les soldats se réunissent en désordre, courent aux armes ; des artilleurs coupent les traits de leurs canons et les abandonnent ; les conducteurs de voitures d’ambulance se sauvent en jetant les malheureux blessés sur les routes, et parmi eux le général Auger, commandant l’artillerie, blessé la veille, qui en mourut. Dans les camps, l’ordre fut promptement rétabli, mais les cavaliers s’enfuirent jusqu’à Brescia : sur toute leur route, les populations, croyant à notre désastre, remplaçaient les drapeaux français par les drapeaux autrichiens !

Le 25 juin au matin, Benedek proposa à François-Joseph la reprise immédiate du combat : « Les Français, disait-il, ont subi d’aussi grandes pertes que nous et disposent de moins de troupes en réserve. » François-Joseph répondit, les larmes aux yeux : « Plutôt perdre une province que d’assister encore une fois à un aussi cruel spectacle ! » Il s’était retiré derrière l’Adige, sur la ligne de Vérone à Legnano, son quartier général à Vérone. De

  1. Le républicain Edmond Texier, dans un article du Siècle, dit : « On a été tout surpris à Paris qu’immédiatement après la. victoire de Solferino, on n’eût pas traversé le Mincio. Je me serais promené sur le boulevard, le 26 juin, au moment où est parvenue la nouvelle de la bataille, que j’aurais probablement été fort étonné, moi aussi, de l’apparente inaction de l’armée victorieuse ; mais, comme je vois comment les choses se passent ici, il m’est impossible de partager l’étonnement des stratèges de Tortoni. La difficulté de nourrir une armée de 150 000 hommes n’est pas mince. Les convois ne pouvant précéder l’armée dans un pays occupé par l’ennemi, il résulte que, si cette armée se fût lancée le 24 au soir à la poursuite des Autrichiens derrière le Mincio, elle serait restée sans vivres pendant quatre ou cinq jours. L’armée française aurait traversé le Mincio trois jours plus tôt, mais il est certain qu’elle serait littéralement morte de faim trois jours après. »