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V. MILAN


I

Les préoccupations politiques ressaisirent aussitôt l’Empereur. Les nouvelles de l’Italie centrale n’étaient pas satisfaisantes : on criait, on manifestait, on ne s’enrôlait pas ; malgré les excitations de Cavour, on ne comprenait pas que, pour justifier leurs plaintes aux yeux de l’Europe, les Italiens devaient apporter à la guerre une coopération énergique. En Toscane surtout, la mollesse était invincible. Le prince Napoléon, arrivé à Florence le 31 mai, y tenait une conduite d’une irréprochable correction ; il n’avait pas tenté de s’immiscer dans les affaires intérieures, ni prononcé un mot, ni fait un acte que les malveillans pussent interpréter comme une manœuvre de prétendant ; bien plus, il soutenait publiquement, au grand déplaisir de Walewski, l’annexion au Piémont. Il tenta de constituer une armée, et peu et mal secondé par le commissaire piémontais Buoncompagni, il n’y réussissait guère. Les Toscans, sauf une petite minorité, acceptaient plus qu’ils ne souhaitaient de devenir indépendans, à condition de ne pas interrompre leur dolce vivere, et de n’entendre parler ni d’impositions exceptionnelles, ni de levées. Ils regardèrent avec stupéfaction le Prince quand il réclama un contingent de trente mille hommes. Juste ciel ! plutôt rappeler Léopold[1]. On ne put rassembler sous Ulloa que 4 000 à 5 000 hommes, divisés en deux brigades commandées par un colonel et un lieutenant-colonel, deux batteries d’artillerie et un escadron de guides de cent chevaux. — « Est-ce pour un pareil résultat, écrivait le Prince à l’Empereur, que la Toscane s’est soulevée au cri de Vive la guerre ! et a changé la forme de son gouvernement ? »

Ces déboires étaient cependant de bien peu de gravité à côté des menaces européennes grondant de Londres et d’Allemagne.

  1. Lambruschini à Ricasoli (28 avril 1859). — « Cher Bettino, on dit que, nos troupes devant être envoyées à la guerre, on fera une levée extraordinaire des hommes de dix-huit à vingt-cinq ans. Cette résolution inconsidérée ne pourrait être prise ou suggérée que par quelqu’un ne connaissant pas la Toscane et voulant la traiter comme le Piémont : elle aurait pour résultat de faire désirer le retour du Grand-Duc, de rendre très odieux le Piémont, abhorrée la cause de l’Italie… J’espère que tu comprends comme moi le dommage et les périls de cette mesure inconsidérée et que tu feras tout le possible afin qu’elle ne soit pas adoptée. » Elle ne le fut pas.