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restons maîtres du terrain sur les deux rives, au Ponte Vecchio comme à Ponte Nuovo de Magenta. Ce n’est sûrement pas une défaite, mais est-ce une victoire ? l’ennemi est contenu, repoussé, il n’est pas en déroute ; il l’est si peu qu’il prépare déjà un retour agressif pour le lendemain. À Magenta, au contraire, la débandade est telle que les Ier et IIe corps autrichiens écrasés fuient, vers les trois heures du matin, précipitamment sur Milan.

Les Autrichiens avaient eu 1 365 morts, 4 348 blessés, 45 00 disparus ou prisonniers ; les Français 657 morts, 3 223 blessés et 655 disparus : les Piémontais n’eurent ni morts ni blessés.


V

À San Martino, l’Empereur établit son quartier général dans une misérable auberge. Il était assis au milieu de ses généraux lorsque Victor-Emmanuel entre brusquement, sans s’être fait annoncer. Une seule de ses divisions, celle de Fanti, avait essayé de suivre Mac-Mahon, et elle était arrivée partout trop tard. Ses autres troupes, malgré les ordres réitérés de l’Empereur, malgré l’appel pressant du canon, étaient restées immobiles sur place à Turbigo et à Galliate, avec une persistance d’apparence systématique, à laquelle on donnait les interprétations les plus diverses, dont la plus indulgente était que, Roi, il n’avait pas voulu se mettre sous les ordres d’un simple divisionnaire.

Victor-Emmanuel venait apporter ses explications. Il exprima en termes expansifs son désespoir de n’avoir pas pris part à la lutte. Il en avait été empêché, disait-il, par un encombrement au débouché du pont de Turbigo ; par l’inquiétude que lui causait l’apparition de quelques cavaliers et la présence signalée à Gallarate de la division Urban, d’où elle menaçait les derrières des troupes en marche sur Magenta. Ces raisons n’étaient pas sérieuses. L’encombrement expliquait deux ou trois heures de retard, non une abstention complète de toute la journée. La crainte vague d’une attaque d’Urban, à plus forte raison l’apparition de quelques cavaliers, justifiait à peine l’immobilité d’une division, car il eût suffi de se couvrir par une arrière-garde laissée à Castano : elle n’expliquait nullement que le Roi et ses trois divisions eussent entendu pendant tant d’heures le tonnerre de la bataille sans bouger, se retrouvant le soir à la place où ils étaient le matin.