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dans des marches contremandées sitôt qu’ordonnées. Que serait-il devenu si l’armée alliée avait fondu sur lui au milieu de ce désarroi ?

L’Empereur pourtant ne s’occupe pas de Giülay : on eût dit que tout ce qu’il avait en lui de force d’impulsion avait été épuisé. La marche qu’il venait de terminer si habilement n’avait de sens que si elle préparait une offensive foudroyante : il la conclut par une défensive circonspecte ; il ne va pas vers l’ennemi, il l’attend ; il ne brusque pas l’événement, il le voit venir. Personne ne se montrant, il ne cherche pas à prendre le contact qu’on ne lui offre pas ; il se remet en marche vers le Tessin et Milan, avec précaution, en colonnes prêtes à s’appuyer. À ne considérer les choses que superficiellement, comme, malgré tout, il s’avance du côté du territoire de l’ennemi, sinon contre son armée, on peut dire qu’il agit offensivement. Mais cette offensive, dépourvue de décision et de promptitude, a la timidité, l’incertitude qui sont la condition et l’infériorité de toute défensive : c’est une défensive qui se déplace en avant. Cette fois il ne semble plus entendre l’autre conseil de son oncle à Masséna : « Activité, activité, vitesse. »

Giülay a la liberté de reprendre ses sens. François-Joseph, en route sur Vérone, lui télégraphie : « Faites un énergique effort offensif et conservez au moins la ligne du Tessin. » Il répond : « C’est impossible, » et le 2, à midi, donne l’ordre de la retraite derrière le fleuve. Du coup Garibaldi est dégagé. Urban, qui le serrait de près, rappelé brusquement de Varese, le laisse sans personne devant lui. L’histoire démagogique raconte que c’est son génie militaire qui l’a tiré de peine.

Les deux armées marchaient donc parallèlement vers le même but, sans s’aborder, sans même soupçonner leurs mouvemens réciproques, bien qu’ayant de la cavalerie pour s’éclairer. Le choc qui va se produire entre elles sera l’effet du hasard.


II

Dans la journée du 3, l’Empereur continue à s’embarrasser dans sa malheureuse stratégie défensive. Au lieu de se préoccuper uniquement de déterminer par où et comment il attaquera, de choisir son champ de bataille et de fondre sur l’adversaire incertain, il perd son temps à demander par où il sera attaqué lui-même et