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fixer des dates précises, quelques années troublées où sa coquetterie l’entraîna, où son imagination fut prise, où son cœur fut ému. Ceux qui l’observaient de près et sans bienveillance voyaient venir depuis longtemps cette crise. Dès 1701, Madame écrivait : « La duchesse de Bourgogne a beaucoup d’intelligence ; mais elle est, comme le serait toute jeune personne à qui on aurait laissé une aussi grande liberté, extrêmement coquette et fougueuse (coquet und wildt). Si elle avait été auprès de gens qui l’eussent tenue comme elle aurait dû être tenue, on aurait pu faire quelque chose de bon de Son Altesse, mais j’ai peur, de la façon dont on la laisse aller, que beaucoup d’histoires n’arrivent au jour[1]. » Et dans une autre lettre de 1703 : « Le duc de Bourgogne est tellement confit en dévotion, que selon moi il en deviendra stupide… Sa femme est méchante et coquette ; elle lui fournira matière à mortification. »

Saint-Simon, qui veut au contraire tant de bien à la duchesse de Bourgogne, ne peut s’empêcher de dire la même chose que Madame, et, comme elle aussi, il rejette la responsabilité de ses torts sur les personnes qui l’entouraient : « La facilité naturelle de la princesse, dit-il, se laissoit conformer aux personnes qui lui étoient les plus familières, et, ce dont on ne sut pas profiter, elle se plaisoit autant et se trouvoit aussi à son aise et aussi amusée d’après-dinées raisonnables, mêlées de lectures et de conversations utiles, c’est-à-dire pieuses ou historiques, avec les dames âgées qui étoient auprès d’elle, que des discours plus libres et dérobés des autres qui l’entraînoient plutôt qu’elle ne s’y livroit, retenue par sa timidité naturelle et par un reste de délicatesse[2]. »

Ce reste de délicatesse était mis à forte épreuve par les exemples dont elle était environnée. Il aurait fallu qu’un mari intelligent veillât sur elle, s’associant à sa vie et en tempérant les écarts. Or, c’était précisément le contraire que faisait le duc de Bourgogne. Notons enfin qu’après avoir été assez beau dans son adolescence, il avait perdu quelques-uns de ces attraits qui le faisaient, non sans exagération déjà, comparer à l’Amour par Mlle de Scudéry. S’il avait conservé ses yeux admirables, son regard vif et touchant, à la fois perçant et doux, ainsi que sa chevelure abondante et naturellement bouclée, le bas de son visage

  1. Correspondance de Madame, édition Bodeman, t. Ier, p. 437. Cette lettre est traduite incomplètement dans l’édition Jæglé.
  2. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. X, p. 90.